Rohingya Refugee Muslims Participate in Early Marriages Allison Joyce/Getty Images

Le coût du mariage des enfants

NEW YORK – Les coûts humains des mariages d’enfants sont bien connus ; dans le monde, les filles mariées pendant leur enfance sont, en moyenne, moins éduquées, plus pauvres et plus sujettes à la violence sexuelle que les femmes qui se marient plus tard dans leur vie. Mais lorsqu’à ce triste décompte s’ajoutent les conséquences économiques du mariage précoce, la note est proprement exorbitante.

Selon le Centre international pour la recherche sur les femmes et la Banque mondiale, en finir avec la pratique du mariage d’enfants pourrait épargner des milliards de dollars de dépenses d’aide sociale annuelles, ce qui équivaudrait, d’ici 2030, à une économie de plus 4 000 milliards de dollars. Autrement dit, le monde n’a pas les moyens de permettre que les mariages d’enfants se poursuivent. 

De nombreux gouvernement l’ont d’ores et déjà reconnu. Ainsi en Indonésie, où l’impact du mariage précoce affecte négativement les prévisions de croissance à long terme, le président Joko Widodo s’est-t-il promis d’en proscrire la pratique, un engagement significatif dans un pays où 14 % des filles sont mariées avant leur dix-huitième anniversaire.

Mais dans la plupart des pays où le mariage d’enfants est répandu, le changement ne se produit pas assez rapidement. Si les stratégies ont été passées en revue du Bengladesh à la Zambie, les financements des programmes dont l’efficacité sur la réduction du taux de mariages précoces est prouvée – par exemple l’amélioration de l’accès des filles aux soins de santé, à l’éducation et à la formation professionnelle – ne sont pas à la hauteur. Si en finir avec le mariage d’enfants doit devenir autre chose qu’un argument brandi dans des débats politiques, alors les stratégies d’ensemble doivent être soutenues par des engagements financiers.

Certes, le mariage d’enfants est un problème immense. Aujourd’hui, environ une fille sur cinq dans le monde est mariée ou vit en union informelle avant d’atteindre dix-huit ans, et la plupart de ces filles deviendront mères avant l’âge adulte. Au Niger, le pays du monde où le taux de mariages d’enfants est le plus élevé, 76 % des filles sont mariées avant qu’elles ne puissent voter. Et quel que soit le lieu où se produisent les mariages d’enfants, les filles n’ont guère leur mot à dire dans la décision prise.

Le moment pourtant – et c’est une bonne nouvelle – n’a jamais été aussi bien choisi pour lutter contre ce problème global. Désormais, les coûts économiques du mariage d’enfants sont connus, et les gouvernements des pays en développement commencent à mieux comprendre l’urgence de la question. Malgré cela, les pays riches, pour faire pencher la balance, doivent être enrôlés dans le combat, et la prochaine occasion pour eux de s’y engager approche rapidement.

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Le 31 mai, les ministres des Finances et du Développement du G7 tiendront la première d’une série de réunions au Canada, afin d’examiner comment la croissance économique peut être plus équitablement partagée. Ces réunions ouvriront la voix aux discussions élargies de la semaine prochaine, lorsque le Premier ministre canadien Justin Trudeau accueillera le sommet proprement dit du G7.

Trudeau s’est d’ores et déjà engagé à faire de l’égalité des sexes l’un des thèmes majeurs de la réunion de cette année, et nous ne pouvons que nous féliciter de cette priorité. Mais nous savons aussi qu’à moins que les ministres du G7 n’accordent leurs actes, en l’occurrence des financements, à leur parole, les promesses généreuses du sommet ne suffiront pas – et partout des enfants continueront à souffrir de l’injustice des mariages précoces.

Mettre un terme aux mariages d’enfants requerra de l’ambition, de la créativité et de l’argent. Mais ce n’est qu’un début ; des solutions ciblées sont essentielles. Si l’éducation est indispensable à l’avenir des filles, il ne suffira pas de construire des écoles et de payer des enseignants. Pour prendre leur destin en main, les filles doivent avoir accès à une éducation sûre et de qualité, qui leur donne confiance en elles et les capacités de réussir. Pour y parvenir, un engagement à long terme est indispensable.

Si les pays les plus riches du monde entendaient vraiment inscrire la question au nombre de leurs principales priorités, les gains seraient considérables. Ainsi la Banque mondiale estime-t-elle que si le Niger pouvait interdire les mariages d’enfants, il économiserait aux alentours de 1,7 milliard de dollars par an de dépenses d’        action sociale. Le Bengladesh enregistrerait une hausse de 4,8 milliards de dollars de recettes annuelles et de productivité, et les économies en termes de protection sociale se chiffreraient au Nigeria à 7,6 milliards de dollars.

Les États commencent à réaliser de grands progrès dans la réduction des taux de mariages d’enfants ; de fait, le nombre de filles mariées chaque année dans leur enfance décroît. Malheureusement, cette évolution est trop lente. Si le monde n’accélère pas drastiquement ces avancées et ne relève pas le niveau de ses investissements, la croissance rapide de la population inversera les progrès réalisés, et une fois de plus, le nombre de mariées précoces augmentera.

Les filles peuvent changer le monde, mais pour le moment, leur manque de maîtrise sur leur destin limite leurs capacités. Lorsque se réuniront les ministres du G7, cette semaine et la semaine prochaine, l’un des thèmes abordés s’intitulera « investir dans la croissance économique qui profite à tout le monde ». De notre point de vue, la meilleure façon de faire advenir à la réalité un tel objectif est de s’attaquer à un fléau social dont les coûts sont particulièrement élevés – et pas seulement pour les filles.

Traduit de l’anglais par François Boisivon

https://prosyn.org/j6WZ7L5fr