MUNICH – La crise de l’énergie – plus particulièrement la pénurie de gaz due à la coupure des approvisionnements russes – plonge l’Europe dans la récession et provoque des tensions sociales autant que des conflits dans la répartition de la ressource. Les gouvernements européens cherchent en toute hâte à désamorcer cette situation explosive, mais ils n’y parviendront qu’à condition de coopérer pleinement les uns avec les autres. Le marché transnational de l’énergie doit rester ouvert, et l’Union européenne devrait pouvoir compter sur son pouvoir de marché lorsqu’elle achète du gaz à des pays tiers. Faute de stratégies nationales coordonnées de gestion de crise, la réponse européenne pourrait déboucher sur une course aux subventions, dans laquelle elle sera forcément perdante.
La hausse brutale des prix de l’énergie réduit la production comme la consommation, les ménages réagissant à l’augmentation des coûts en rognant sur leurs autres dépenses. Certains entament déjà leur épargne, mais beaucoup d’autres ne souhaitent pas y toucher, craignant d’en avoir besoin plus tard. Et d’autres encore, bien sûr, n’ont pas d’épargne.
Les prix élevés du gaz sont au cœur de la crise, car leurs conséquences se font sentir non seulement sur les factures de chauffage mais aussi sur la production industrielle et celle d’électricité. Lorsque la demande d’énergie est aussi forte, les énergies renouvelables, le charbon et les centrales nucléaires ne suffisent plus. Et comme le prix de l’électricité est déterminé par la centrale en activité la plus chère, l’augmentation du prix du gaz se traduit par une hausse brutale de celui de l’électricité. L’un et l’autre ont été multipliés par dix environ entre janvier 2021 et septembre 2022.
L’ampleur de la crise économique et sociale dépendra beaucoup de la réaction des gouvernements. Deux stratégies sont envisageables. La première consiste en une intervention directe sur les marchés de l’énergie afin de faire baisser le prix d’achat, par des diminutions d’impôts ou par des subventions, de l’électricité, du gaz et du pétrole. Les subventions accordées par l’Espagne aux achats de gaz de son système électrique sont un exemple cette première stratégie.
L’autre approche consiste à s’abstenir d’une intervention directe sur les prix et à mettre plutôt l’accent sur l’aide aux ménages dont les revenus sont faibles et aux entreprises trop durement touchées en procédant à des transferts au coup par coup. Au premier abord, c’est la première stratégie qui semble la plus efficace – et elle séduit évidemment des responsables politiques qui cherchent à donner d’eux l’image de dirigeants s’attaquant directement au problème. Mais elle comporte deux inconvénients majeurs.
Premièrement, baisser les prix du gaz, de l’électricité ou du pétrole profitera aux plus gros consommateurs d’énergie, c’est-à-dire, peu ou prou, aux ménages disposant des plus hauts revenus, des logements les plus vastes et des plus grosses voitures. Non seulement cette partie de la population peut déjà supporter sans aide la hausse des prix, mais elle finira de toute façon par payer pour les subventions puisqu’elle devra acquitter les impôts que lèvera le gouvernement pour assurer le service de la dette supplémentaire qu’il contractera.
At a time of escalating global turmoil, there is an urgent need for incisive, informed analysis of the issues and questions driving the news – just what PS has always provided.
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Le second problème est plus embarrassant : subventions et crédits ou baisses d’impôts soutiendront la demande en affaiblissant les incitations à consommer moins d’énergie. Mais comme l’énergie, en réalité, sera devenue rare, cette demande accrue ne pourra s’adresser qu’à une offre constante, et les prix devront augmenter pour qu’offre et demande retrouvent un équilibre. En conséquence de quoi une part considérable des subventions ou des baisses d’impôts sera captée par les fournisseurs d’énergie, échappant ainsi aux consommateurs.
Ce décalage est particulièrement fâcheux pour ce qui concerne le marché du gaz, et plus encore si les subventions sont conçues et appliquées au niveau national. Dès lors que les terminaux européens de gaz naturel liquéfié fonctionnent au maximum de leur capacité, l’offre de gaz en Europe n’est guère flexible. Dans ces conditions, si un seul État membre décide de recourir à des subventions pour baisser ses prix, les autres s’en abstenant, le prix du gaz montera peu à l’échelle européenne, mais le flux de gaz vers ce pays augmentera, lui, dans des proportions non négligeables, privant ainsi les autres pays d’une partie de l’offre égale à cette augmentation.
Et si tous les pays en font autant, ils se lanceront dans une course aux subventions, qui peut faire du tort à tout le monde. Si des prix plus hauts ne peuvent entraîner à la hausse la quantité de gaz disponible en Europe cet hiver (tout simplement parce que l’offre sera limitée), les subventions auront pour effet de provoquer une hausse des prix égale à leur montant. Cela reviendrait, pour les États, à transférer de l’argent directement de leur bilan à celui des producteurs de gaz, ce qui équivaudrait à un don. En fin de compte, les consommateurs n’en ressentiraient aucun soulagement.
Une politique qui se limiterait à des subventions accordées aux ménages les plus pauvres et aux entreprises les plus gravement touchées éviterait les deux écueils décrits plus haut, en aidant ceux qui ont réellement besoin d’aide. Malheureusement, en raison du choc causé par la hausse brutale des prix de l’énergie, les gouvernements nationaux voient s’exercer, à l’intérieur, des pressions politiques de plus en plus fortes en faveur d’une réduction des prix par l’intervention directe. Pour la plupart, les débats au niveau national font l’impasse sur les conséquences qu’auraient de telles mesures dans l’ensemble de l’espace européen.
Qui pis est, les effets transfrontaliers des subventions viendraient perturber d’autres mesures nécessaires dès maintenant. Ainsi peut-on stabiliser efficacement les marchés de l’électricité et du gaz en remettant en service les centrales thermiques au charbon ou au pétrole déclassées et en rallongeant la durée de vie des centrales nucléaires. Cela réduirait la quantité de gaz nécessaire à la production d’électricité, et bénéficierait à toute l’Europe, pas seulement au pays qui prend à chaque fois la décision.
La coordination européenne est indispensable à une gestion efficace de la crise énergétique. Si chaque pays n’agit qu’en fonction de ses propres intérêts, l’Europe pourrait avoir beaucoup plus de difficultés à s’en sortir – alors que rien ne le justifie.
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US President Donald Trump’s import tariffs have triggered a wave of retaliatory measures, setting off a trade war with key partners and raising fears of a global downturn. But while Trump’s protectionism and erratic policy shifts could have far-reaching implications, the greatest victim is likely to be the United States itself.
warns that the new administration’s protectionism resembles the strategy many developing countries once tried.
It took a pandemic and the threat of war to get Germany to dispense with the two taboos – against debt and monetary financing of budgets – that have strangled its governments for decades. Now, it must join the rest of Europe in offering a positive vision of self-sufficiency and an “anti-fascist economic policy.”
welcomes the apparent departure from two policy taboos that have strangled the country's investment.
MUNICH – La crise de l’énergie – plus particulièrement la pénurie de gaz due à la coupure des approvisionnements russes – plonge l’Europe dans la récession et provoque des tensions sociales autant que des conflits dans la répartition de la ressource. Les gouvernements européens cherchent en toute hâte à désamorcer cette situation explosive, mais ils n’y parviendront qu’à condition de coopérer pleinement les uns avec les autres. Le marché transnational de l’énergie doit rester ouvert, et l’Union européenne devrait pouvoir compter sur son pouvoir de marché lorsqu’elle achète du gaz à des pays tiers. Faute de stratégies nationales coordonnées de gestion de crise, la réponse européenne pourrait déboucher sur une course aux subventions, dans laquelle elle sera forcément perdante.
La hausse brutale des prix de l’énergie réduit la production comme la consommation, les ménages réagissant à l’augmentation des coûts en rognant sur leurs autres dépenses. Certains entament déjà leur épargne, mais beaucoup d’autres ne souhaitent pas y toucher, craignant d’en avoir besoin plus tard. Et d’autres encore, bien sûr, n’ont pas d’épargne.
Les prix élevés du gaz sont au cœur de la crise, car leurs conséquences se font sentir non seulement sur les factures de chauffage mais aussi sur la production industrielle et celle d’électricité. Lorsque la demande d’énergie est aussi forte, les énergies renouvelables, le charbon et les centrales nucléaires ne suffisent plus. Et comme le prix de l’électricité est déterminé par la centrale en activité la plus chère, l’augmentation du prix du gaz se traduit par une hausse brutale de celui de l’électricité. L’un et l’autre ont été multipliés par dix environ entre janvier 2021 et septembre 2022.
L’ampleur de la crise économique et sociale dépendra beaucoup de la réaction des gouvernements. Deux stratégies sont envisageables. La première consiste en une intervention directe sur les marchés de l’énergie afin de faire baisser le prix d’achat, par des diminutions d’impôts ou par des subventions, de l’électricité, du gaz et du pétrole. Les subventions accordées par l’Espagne aux achats de gaz de son système électrique sont un exemple cette première stratégie.
L’autre approche consiste à s’abstenir d’une intervention directe sur les prix et à mettre plutôt l’accent sur l’aide aux ménages dont les revenus sont faibles et aux entreprises trop durement touchées en procédant à des transferts au coup par coup. Au premier abord, c’est la première stratégie qui semble la plus efficace – et elle séduit évidemment des responsables politiques qui cherchent à donner d’eux l’image de dirigeants s’attaquant directement au problème. Mais elle comporte deux inconvénients majeurs.
Premièrement, baisser les prix du gaz, de l’électricité ou du pétrole profitera aux plus gros consommateurs d’énergie, c’est-à-dire, peu ou prou, aux ménages disposant des plus hauts revenus, des logements les plus vastes et des plus grosses voitures. Non seulement cette partie de la population peut déjà supporter sans aide la hausse des prix, mais elle finira de toute façon par payer pour les subventions puisqu’elle devra acquitter les impôts que lèvera le gouvernement pour assurer le service de la dette supplémentaire qu’il contractera.
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Ce décalage est particulièrement fâcheux pour ce qui concerne le marché du gaz, et plus encore si les subventions sont conçues et appliquées au niveau national. Dès lors que les terminaux européens de gaz naturel liquéfié fonctionnent au maximum de leur capacité, l’offre de gaz en Europe n’est guère flexible. Dans ces conditions, si un seul État membre décide de recourir à des subventions pour baisser ses prix, les autres s’en abstenant, le prix du gaz montera peu à l’échelle européenne, mais le flux de gaz vers ce pays augmentera, lui, dans des proportions non négligeables, privant ainsi les autres pays d’une partie de l’offre égale à cette augmentation.
Et si tous les pays en font autant, ils se lanceront dans une course aux subventions, qui peut faire du tort à tout le monde. Si des prix plus hauts ne peuvent entraîner à la hausse la quantité de gaz disponible en Europe cet hiver (tout simplement parce que l’offre sera limitée), les subventions auront pour effet de provoquer une hausse des prix égale à leur montant. Cela reviendrait, pour les États, à transférer de l’argent directement de leur bilan à celui des producteurs de gaz, ce qui équivaudrait à un don. En fin de compte, les consommateurs n’en ressentiraient aucun soulagement.
Une politique qui se limiterait à des subventions accordées aux ménages les plus pauvres et aux entreprises les plus gravement touchées éviterait les deux écueils décrits plus haut, en aidant ceux qui ont réellement besoin d’aide. Malheureusement, en raison du choc causé par la hausse brutale des prix de l’énergie, les gouvernements nationaux voient s’exercer, à l’intérieur, des pressions politiques de plus en plus fortes en faveur d’une réduction des prix par l’intervention directe. Pour la plupart, les débats au niveau national font l’impasse sur les conséquences qu’auraient de telles mesures dans l’ensemble de l’espace européen.
Qui pis est, les effets transfrontaliers des subventions viendraient perturber d’autres mesures nécessaires dès maintenant. Ainsi peut-on stabiliser efficacement les marchés de l’électricité et du gaz en remettant en service les centrales thermiques au charbon ou au pétrole déclassées et en rallongeant la durée de vie des centrales nucléaires. Cela réduirait la quantité de gaz nécessaire à la production d’électricité, et bénéficierait à toute l’Europe, pas seulement au pays qui prend à chaque fois la décision.
La coordination européenne est indispensable à une gestion efficace de la crise énergétique. Si chaque pays n’agit qu’en fonction de ses propres intérêts, l’Europe pourrait avoir beaucoup plus de difficultés à s’en sortir – alors que rien ne le justifie.
Traduit de l’anglais par François Boisivon