L’ère de la repression financière

TILBURG – Dès sa réélection, le président américain Barack Obama s’est presque immédiatement attelé à réduire la dette nationale croissante. En fait, l’ensemble des pays occidentaux met en œuvre des politiques visant à réduire le volume de la dette publique – ou tout au moins à en interrompre la croissance.

Dans leur article abondamment cité, “Growth in a Time of Debt,”Kenneth Rogoff et Carmen Reinhart affirment que lorsque la dette publique excède 99% du PIB, les pays subissent un ralentissement de la croissance. La dette nationale de nombreux pays occidentaux se rapproche dangereusement de ce seuil critique, et le dépasse même dans certains cas.

En effet, selon l’OECD, dès la fin de cette année, le rapport dette nationale/PIB de l’Amérique atteindra 108,6%. La dette publique dans la zone euro se situe à 99,1% du PIB, avec en tête la France, où ce rapport devrait atteindre 105,5%, et la Grande Bretagne qui se situera à 104,2%. Même la très disciplinée Allemagne devrait se rapprocher de ce seuil, à 88,5%.

Les pays peuvent réduire leur dette nationale en comblant le déficit budgétaire ou en créant un excédent primaire (le solde budgétaire moins les paiements d’intérêts sur la dette). Cela peut se faire par le biais d’une hausse des impôts, de coupes dans les dépenses publiques, d’une relance de la croissance économique, ou de toute combinaison de ces trois composantes.

Lorsque l’économie est en phase de croissance, des stabilisateurs automatiques opèrent leur magie. Dans la mesure où un nombre croissant de personnes travaillent et gagnent plus d’argent, les recettes fiscales augmentent et l’éligibilité aux bénéfices sociaux comme l’indemnité chômage chute. Avec des revenus plus élevés et moins de dépenses, le déficit budgétaire diminue.

Mais en période de croissance lente, les responsables politiques n’ont qu’un éventail de sombres options. Une augmentation des impôts n’est pas seulement impopulaire ; elle peut aussi s’avérer contre-productive dans la mesure où les impôts sont déjà très élevés dans de nombreux pays. Il est aussi difficile de faire admettre les réductions budgétaires à son opinion. Les responsables politiques occidentaux sont à recherche de solutions alternatives –qui pour une grande part d’entre elles peuvent être qualifiées de répression financière.

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La répression financière advient lorsque les gouvernements adoptent des mesures pour attirer vers eux des fonds qui, dans un marché dérégulé, iraient ailleurs. Par exemple, de nombreux gouvernements ont mis en place des règlementations pour les banques et les sociétés d’assurance qui augmentent le montant de la dette publique qu’elles détiennent.

Considérez les standards bancaires internationaux de Bâle III. Entre autres choses, Bâle III stipule que les banques n’ont pas à provisionner de liquidités sur leurs investissements en obligations d’états dont les notes sont au minimum de AA-. En outre, les investissements en obligations émis par leurs gouvernements d’origine n’exigent aucun tampon, quelque soit leur note.

Les banques centrales occidentales pour leur part, utilisent une autre forme de répression financière en maintenant des taux d’intérêt négatifs (dont le rendement est inférieur au taux de l’inflation), ce qui leur permet de rembourser leur dette sans frais. La politique de taux de la Banque Centrale Européenne se situe à 0,75%, alors que le taux d’inflation annuel de la zone euro est de 2,5%. De même, le taux de la Banque d’Angleterre est fixé à 0,5%, malgré un taux d’inflation frôlant 2%. Et aux Etats-Unis, où l’inflation dépasse 2%, le taux de référence de la Réserve Fédérale demeure à un bas historique de 0-0,25%.

Et compte tenu du fait que la BCE, la Banque d’Angleterre et la Fed s’aventurent dans les marchés de capitaux – par le biais des facilités quantitatives (FQ) aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, et du programme de « transactions monétaires directes » (TMD) de la BCE dans le zone euro – les taux d’intérêts à long terme sont aussi négatifs (le taux d’intérêt réel sur 30 ans aux Etats-Unis est positif, mais à peine.)

De telles tactiques, par lesquelles les banques sont encouragées, et non contraintes, à investir dans la dette des gouvernements, constitue une répression financière « légère ». Mais les gouvernements peuvent aller plus loin, en exigeant que les institutions financières maintiennent ou augmentent leurs avoirs en dette du gouvernement, comme le fit en 2009 l’Autorité britannique des Services Financiers.

De même, en 2011, les banques espagnoles ont augmenté leurs crédits au gouvernement de près de 15%, en dépit de la contraction des crédits du secteur privé et de la baisse de solvabilité du gouvernement espagnol. Un responsable de banque italien a même déclaré que les banques italiennes seraient pendues par le ministère des Finances si elles vendaient ne serait-ce qu’un de leurs avoirs sur la dette publique. Et un banquier portugais a pour sa part affirmé qu’il serait sage que les banques limitent leur exposition aux obligations d’état risquées, mais que la pression gouvernementale pour inciter à en accroître les volumes est écrasante.

De plus, dans de nombreux pays, y compris la France, l’Irlande, et le Portugal, les gouvernements ont raflé les fonds pensions de retraites pour financer leurs déficits budgétaires. La Grande Bretagne est sur le point de prendre cette même mesure, en « autorisant » les fonds de pensions des gouvernements locaux à investir dans des projets d’infrastructures.

Le financement monétaire direct ou indirect des déficits était considéré comme l’un des péchés les plus graves qu’une banque centrale puisse commettre. Les FQ et les TMD sont de simples nouvelles incarnations de cette vieille transgression. De telles politiques de banques centrales, associées aux décisions de Bâle III, impliquent que la répression financière façonnera probablement le paysage économique pendant encore au moins une décennie.

Traduit de l’anglais par Frédérique Destribats

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