A lire la presse de ces dernières semaines, on pourrait croire qu'un déploiement plus large de la force multinationale de sécurité et plus de rapidité dans la distribution de d'aide suffiront à pacifier l'Afghanistan et à assurer la position de Harmid Karzaï, le président afghan. Selon ce point de vue, la carotte de l'aide internationale et le bâton de la force de sécurité devraient permettre la survie de son gouvernement.
Poussés par cette logique, les USA ont voulu accélérer l'aide - une tâche qu'ils sont à même d'accomplir, puisqu'ils ont fourni les neuf dixièmes de l'aide financière destinée à l'Afghanistan, ceci même à l'époque des Talibans. Le président Bush a annoncé récemment la création d'un fond de 180 millions de dollars destiné à reconstruire les routes du pays. Ce fond, financé par les USA, le Japon et l'Arabie Saoudite, constitue la dernière mesure en date destinée à faciliter la distribution de l'aide.
Le fonctionnement de la force multinationale de sécurité, formée principalement de Turcs, est actuellement revu et son mandat étendu à l'ensemble du pays. Quand Paul Wolfowitz, le vice-secrétaire de la Défense américain l'a annoncé, cela a constitué un revirement de la position antérieure des Etats-Unis qui voulaient confiner la force multinationale de sécurité à Kaboul, de crainte qu'elle ne constitue un obstacle lors des opérations américaines contre Al Quaida et ce qui reste des Talibans.
La stratégie de la carotte et du bâton n'est pas mauvaise en soi, mais elle est insuffisante. Car elle ne prend pas en compte le fait que ni une force de sécurité plus efficace, ni une aide mieux distribuée ne suffiront à stabiliser le pays tant que la population afghane conteste la légitimité du gouvernement.
Au 18° siècle, la révolution américaine est née lorsque les Américains se sont mis à contester la légitimité du Parlement anglais à imposer ses lois. Et en France, les débats des Etats Généraux ont conduit en quelques jours à la prise de la Bastille parce que le régime de Louis XVI avait perdu sa légitimité aux yeux de la population.
Ni la richesse, ni la puissance militaire ne peuvent suffire à un gouvernement pour se maintenir au pouvoir lorsque sa légitimité est contestée par une partie importante de la population. L'Angleterre n'a pu maintenir son autorité en Amérique et la royauté a été abolie en France parce que les gouvernés n'ont plus reconnu l'autorité établie. Ce sont les opposants qui ont acquis la légitimité aux yeux de la population, au détriment du régime en place qui n'a pas fait long feu.
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C'est un peu ce qui se passe actuellement en Afghanistan. Si l'on ne prend pas en considération les raisons de cette situation, le gouvernement Karzaï va s'écrouler et entraîner dans sa chute tout le processus international qui a été institué il y a un an.
Pourquoi les Afghans ne reconnaissent-ils pas la légitimité d'un gouvernement issu d'un accord réunissant toutes les factions, un gouvernement qui a été entériné par la Loya Jirga, la grande assemblée traditionnelle afghane, dûment réunie sous patronage international ? C'est parce que le gouvernement Karzaï et Karzaï lui-même sont le jouet d'une poignée de personnages puissants liés à l'ancienne Alliance du Nord et dominés par le ministre de la Défense, le général Fahim.
La plupart des commentateurs étrangers reconnaissent qu'une clique de Tadjiks exerce une influence démesurée sur le gouvernement. Mais c'est encore minimiser la réalité. Beaucoup de ces personnages viennent de quelques villages dispersés dans une même vallée, le Panjshir. Avec les Hazaras chiites, les Pachtounes qui vivent au sud et à l'est (des zones d'importance stratégique) constituent les deux tiers de la population afghane. Aucun de ces groupes ne s'estime correctement représenté auprès du gouvernement.
Beaucoup d'Ouzbeks, de Turkmènes et même de Tadjiks se sentent exclus. Toutes les gens impliqués dans la vie politique afghane sont au courant de cette mainmise qui s'exerce sur le pouvoir. Ils savent que Fahim a instrumentalisé la Loya Jirga au profit de Karzaï, un Pashtoune, parce qu'il est malléable et ne dispose pas du soutien de forces indépendantes. Ils tremblent à l'idée que l'armée du général Fahim, la plus importante du pays, entoure Kaboul. Ils sont amèrement déçus par l'aveuglement de la communauté internationale face à cette situation.
Ce désespoir et les efforts de Fahim pour en venir à bout sont au coeur de la série de violence récente que l'on attribue aux Talibans les plus radicaux, aux chefs de guerre rebelles et à Al Quaida. Beaucoup de Pachtounes dissidents ont soutenu les Talibans parce qu'ils promettaient de ramener la paix et l'ordre. Beaucoup de chefs de guerre continuent à se battre, souvent avec une aide étrangère (parfois même américaine). Al Quaida, qui a également intérêt à déstabiliser le gouvernement Karzaï, est prêt à exploiter ses faiblesses.
La seule manière de faire face à ces menaces est de s'attaquer à leur racine : le déséquilibre du pouvoir au sommet de l'Etat et dans les ministères, ce qui peu à peu ôte sa légitimité au gouvernement Karzaï. Que Karzaï lui-même soit honnête et bien intentionné ne change rien à ce problème, car il est incapable de le résoudre tout seul.
La solution consiste à faire preuve de fermeté, avec à l'appui la force militaire si nécessaire, pour permettre à Karzaï de faire face au général Fahim. Maintenant que la force multinationale de sécurité est dirigée à tour de rôle par un seul pays, le général Fahim ne doit plus enserrer Kaboul sous son étau. Maintenant que l'aide recommence à arriver, il doit être averti qu'elle ne continuera que s'il intègre des personnalités pashtounes et hazaras à des postes d'importance au sein du gouvernement.
Les USA et l'ONU croient naïvement pouvoir faire l'impasse sur le problème de la légitimité de Karzaï. Ils évaluent mal la gravité de la situation. S'ils n'agissent pas rapidement, Karzaï ne tiendra pas longtemps. Et le gouvernement qui lui succédera sera sans doute hostile à l'ONU, anti-occidental, antiaméricain, religieux et adoptera une politique et formera des alliances en conséquence. Mais il se peut aussi qu'aucun gouvernement ne parvienne à émerger. Dans un cas comme dans l'autre, en l'absence de mesures radicales sous quelques semaines ou tout au plus quelques mois, l'Afghanistan risque de connaître un nouveau bain de sang.
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While the Democrats have won some recent elections with support from Silicon Valley, minorities, trade unions, and professionals in large cities, this coalition was never sustainable. The party has become culturally disconnected from, and disdainful of, precisely the voters it needs to win.
thinks Kamala Harris lost because her party has ceased to be the political home of American workers.
This year’s many elections, not least the heated US presidential race, have drawn attention away from the United Nations Climate Change Conference (COP29) in Baku. But global leaders must continue to focus on combating the climate crisis and accelerating the green transition both in developed and developing economies.
foresees multilateral development banks continuing to play a critical role in financing the green transition.
A lire la presse de ces dernières semaines, on pourrait croire qu'un déploiement plus large de la force multinationale de sécurité et plus de rapidité dans la distribution de d'aide suffiront à pacifier l'Afghanistan et à assurer la position de Harmid Karzaï, le président afghan. Selon ce point de vue, la carotte de l'aide internationale et le bâton de la force de sécurité devraient permettre la survie de son gouvernement.
Poussés par cette logique, les USA ont voulu accélérer l'aide - une tâche qu'ils sont à même d'accomplir, puisqu'ils ont fourni les neuf dixièmes de l'aide financière destinée à l'Afghanistan, ceci même à l'époque des Talibans. Le président Bush a annoncé récemment la création d'un fond de 180 millions de dollars destiné à reconstruire les routes du pays. Ce fond, financé par les USA, le Japon et l'Arabie Saoudite, constitue la dernière mesure en date destinée à faciliter la distribution de l'aide.
Le fonctionnement de la force multinationale de sécurité, formée principalement de Turcs, est actuellement revu et son mandat étendu à l'ensemble du pays. Quand Paul Wolfowitz, le vice-secrétaire de la Défense américain l'a annoncé, cela a constitué un revirement de la position antérieure des Etats-Unis qui voulaient confiner la force multinationale de sécurité à Kaboul, de crainte qu'elle ne constitue un obstacle lors des opérations américaines contre Al Quaida et ce qui reste des Talibans.
La stratégie de la carotte et du bâton n'est pas mauvaise en soi, mais elle est insuffisante. Car elle ne prend pas en compte le fait que ni une force de sécurité plus efficace, ni une aide mieux distribuée ne suffiront à stabiliser le pays tant que la population afghane conteste la légitimité du gouvernement.
Au 18° siècle, la révolution américaine est née lorsque les Américains se sont mis à contester la légitimité du Parlement anglais à imposer ses lois. Et en France, les débats des Etats Généraux ont conduit en quelques jours à la prise de la Bastille parce que le régime de Louis XVI avait perdu sa légitimité aux yeux de la population.
Ni la richesse, ni la puissance militaire ne peuvent suffire à un gouvernement pour se maintenir au pouvoir lorsque sa légitimité est contestée par une partie importante de la population. L'Angleterre n'a pu maintenir son autorité en Amérique et la royauté a été abolie en France parce que les gouvernés n'ont plus reconnu l'autorité établie. Ce sont les opposants qui ont acquis la légitimité aux yeux de la population, au détriment du régime en place qui n'a pas fait long feu.
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Pourquoi les Afghans ne reconnaissent-ils pas la légitimité d'un gouvernement issu d'un accord réunissant toutes les factions, un gouvernement qui a été entériné par la Loya Jirga, la grande assemblée traditionnelle afghane, dûment réunie sous patronage international ? C'est parce que le gouvernement Karzaï et Karzaï lui-même sont le jouet d'une poignée de personnages puissants liés à l'ancienne Alliance du Nord et dominés par le ministre de la Défense, le général Fahim.
La plupart des commentateurs étrangers reconnaissent qu'une clique de Tadjiks exerce une influence démesurée sur le gouvernement. Mais c'est encore minimiser la réalité. Beaucoup de ces personnages viennent de quelques villages dispersés dans une même vallée, le Panjshir. Avec les Hazaras chiites, les Pachtounes qui vivent au sud et à l'est (des zones d'importance stratégique) constituent les deux tiers de la population afghane. Aucun de ces groupes ne s'estime correctement représenté auprès du gouvernement.
Beaucoup d'Ouzbeks, de Turkmènes et même de Tadjiks se sentent exclus. Toutes les gens impliqués dans la vie politique afghane sont au courant de cette mainmise qui s'exerce sur le pouvoir. Ils savent que Fahim a instrumentalisé la Loya Jirga au profit de Karzaï, un Pashtoune, parce qu'il est malléable et ne dispose pas du soutien de forces indépendantes. Ils tremblent à l'idée que l'armée du général Fahim, la plus importante du pays, entoure Kaboul. Ils sont amèrement déçus par l'aveuglement de la communauté internationale face à cette situation.
Ce désespoir et les efforts de Fahim pour en venir à bout sont au coeur de la série de violence récente que l'on attribue aux Talibans les plus radicaux, aux chefs de guerre rebelles et à Al Quaida. Beaucoup de Pachtounes dissidents ont soutenu les Talibans parce qu'ils promettaient de ramener la paix et l'ordre. Beaucoup de chefs de guerre continuent à se battre, souvent avec une aide étrangère (parfois même américaine). Al Quaida, qui a également intérêt à déstabiliser le gouvernement Karzaï, est prêt à exploiter ses faiblesses.
La seule manière de faire face à ces menaces est de s'attaquer à leur racine : le déséquilibre du pouvoir au sommet de l'Etat et dans les ministères, ce qui peu à peu ôte sa légitimité au gouvernement Karzaï. Que Karzaï lui-même soit honnête et bien intentionné ne change rien à ce problème, car il est incapable de le résoudre tout seul.
La solution consiste à faire preuve de fermeté, avec à l'appui la force militaire si nécessaire, pour permettre à Karzaï de faire face au général Fahim. Maintenant que la force multinationale de sécurité est dirigée à tour de rôle par un seul pays, le général Fahim ne doit plus enserrer Kaboul sous son étau. Maintenant que l'aide recommence à arriver, il doit être averti qu'elle ne continuera que s'il intègre des personnalités pashtounes et hazaras à des postes d'importance au sein du gouvernement.
Les USA et l'ONU croient naïvement pouvoir faire l'impasse sur le problème de la légitimité de Karzaï. Ils évaluent mal la gravité de la situation. S'ils n'agissent pas rapidement, Karzaï ne tiendra pas longtemps. Et le gouvernement qui lui succédera sera sans doute hostile à l'ONU, anti-occidental, antiaméricain, religieux et adoptera une politique et formera des alliances en conséquence. Mais il se peut aussi qu'aucun gouvernement ne parvienne à émerger. Dans un cas comme dans l'autre, en l'absence de mesures radicales sous quelques semaines ou tout au plus quelques mois, l'Afghanistan risque de connaître un nouveau bain de sang.