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Le frein à l'endettement est en train de briser l'économie allemande

BERLIN – Au début du mois, la Cour constitutionnelle allemande a jugé que le projet du gouvernement de réorienter les fonds d'aide COVID-19 non utilisés vers la lutte contre le changement climatique violait ce que l'on appelle le frein à l'endettement. Cette décision n'est pas seulement un revers pour le chancelier Olaf Scholz ; elle pourrait également aggraver les divisions idéologiques au sein de la coalition gouvernementale et compromettre la politique budgétaire du pays, menaçant ainsi gravement ses perspectives économiques.

L'Allemagne a introduit le frein à l'endettement dans sa constitution en 2009, imposant des limites bien plus rigides que celles requises par le pacte de stabilité et de croissance de l'Union européenne. Le frein à l'endettement interdit largement au gouvernement fédéral et aux États fédérés de contracter de nouvelles dettes ; les exceptions ne sont autorisées que dans les cas d'extrême urgence. Le gouvernement fédéral a utilisé cette exemption d'urgence en 2020 pour allouer plus de 200 milliards d'euros de fonds spéciaux afin d'atténuer l'impact économique de la pandémie.

Le gouvernement de M. Scholz a tenté d'utiliser la même exemption pour canaliser 60 milliards d'euros (66 milliards de dollars), soit 1,5 % du PIB, de ces fonds spéciaux vers des subventions industrielles et des initiatives liées au climat. L'Union chrétienne-démocrate (CDU, parti d’opposition) a alors fait appel à la Cour, qui a bloqué le plan du gouvernement au motif qu'il ne répondait pas aux "exigences constitutionnelles en matière d'emprunts d'urgence". L’ironie est que c'est la CDU, sous la direction de l'ancienne chancelière Angela Merkel, qui a justement créé ce fonds spécial.

Bien que cette décision soit embarrassante pour le gouvernement fédéral, en particulier pour le ministre des finances Christian Lindner, le problème le plus important est que le gouvernement est maintenant confronté à un manque à gagner de 60 milliards d'euros pour les programmes et les subventions qu'il a prévus. Le Fonds allemand pour le climat et la transformation (KTF) est pratiquement épuisé, avec seulement 30 milliards d'euros de recettes prévues, provenant principalement de l'échange de droits d'émission. La décision signifie également que le gouvernement ne sera pas en mesure de respecter certains de ses engagements, tels que 6,5 milliards d'euros de financement supplémentaire pour la Deutsche Bahn, 15 milliards d'euros de subventions pour les installations prévues d'Intel et de la Taiwan Semiconductor Manufacturing Company à Magdebourg et à Dresde, 4 milliards d'euros pour la production d'acier vert, ou encore 1,8 milliard d'euros pour l'aide au chauffage domestique.

En outre, l'arrêt introduit une nouvelle couche d'incertitude économique, laissant de nombreuses entreprises se demander sur quelles promesses elles peuvent encore compter. Cette situation risque de compromettre la croissance économique à un moment critique. La crise énergétique et l'atonie de l'économie mondiale ont touché l'Allemagne plus durement que les autres pays industrialisés, et la baisse attendue de l'investissement privé pourrait entraver davantage les transformations écologique et numérique de l'économie.

Avec une volonté politique suffisante, ce problème pourrait être facilement résolu. Le Bundestag (parlement) pourrait approuver une suspension temporaire du frein à l'endettement pour 2024, ce qui donnerait au gouvernement la flexibilité financière nécessaire. Mais c'est justement là que le bât blesse : en matière de politique fiscale et d'endettement, les partis gouvernementaux sont plus divisés que jamais.

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Alors que le parti social-démocrate (SPD) de Scholz a proposé de réformer le frein à l'endettement et d'imposer des taxes plus élevées sur les hauts revenus et les héritages, Lindner et les démocrates libres (FDP) se targuent d'être la conscience ordolibérale du pays. Estimant que son avenir politique dépend du respect du frein à l'endettement et de la prudence budgétaire sans augmentation des impôts, M. Lindner a déjà annoncé des mesures d'austérité encore plus sévères. Pendant ce temps, une grande partie du SPD, ainsi que des Verts – le troisième partenaire de la coalition – sont impatients de mettre en œuvre leurs programmes ambitieux (et coûteux). Scholz se trouve donc dans la position peu enviable de devoir concilier deux stratégies fiscales apparemment contradictoires.

Ce conflit met en évidence les failles du frein à l'endettement et la nature paradoxale de la politique budgétaire allemande. Alors que les gouvernements et les ministres des finances défendent le frein à l'endettement pour la forme, ils créent des budgets fictifs pour contourner ses contraintes lorsque cela répond à leurs besoins politiques. C'est ainsi que l'Allemagne a pu apporter un soutien financier considérable aux entreprises nationales pendant la pandémie et la crise énergétique actuelle. Dans le même temps, cependant, le gouvernement maintient une politique fiscale structurelle restrictive, ce qui se traduit par des investissements publics inadéquats et une baisse significative de la qualité des infrastructures, de l'éducation et des soins de santé. En d'autres termes, le frein à l'endettement a servi de prétexte à une politique fiscale qui favorise les subventions aux entreprises au détriment des biens publics.

Le véritable risque découlant de l'arrêt de la Cour constitutionnelle n'est pas nécessairement le manque de fonds, mais plutôt les divisions croissantes au sein du gouvernement et la paralysie politique et économique qui se profile. Le secteur industriel allemand, essentiel pour créer des emplois bien rémunérés et stimuler l'innovation, a été lent à adopter les révolutions numérique et environnementale. Pour rattraper son retard, le gouvernement doit investir d'urgence dans les infrastructures, la recherche fondamentale et l'éducation.

En aggravant l'impasse politique, la décision de la Cour constitutionnelle menace gravement le développement socio-économique de l'Allemagne. De plus, au-delà de ses conséquences nationales, l'arrêt a des implications négatives pour l'Europe, puisque le gouvernement allemand a utilisé le verdict pour décliner la demande de l'UE d'un supplément budgétaire de 100 milliards d'euros.

Au cours des deux dernières années, M. Scholz a réussi à plusieurs reprises à aplanir les divergences majeures au sein de sa coalition tripartite. Il doit maintenant relever le défi le plus difficile et potentiellement le plus déterminant de son mandat : élaborer une stratégie créative et efficace pour sortir de l'impasse politique et faire en sorte que l'Allemagne reste économiquement compétitive au XXIe siècle.

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