LONDRES – De toutes parts, le monde semble actuellement évoluer sur le fil du rasoir. Relations entre pays occidentaux et Russie, avenir de l’OTAN, guerre civile syrienne et crise migratoire, montée du populisme d’extrême droite, impact de l’automatisation, sortie prochaine du Royaume-Uni hors de l’Union européenne : toutes ces évolutions – et bien d’autres – agitent le débat public dans le monde entier. Un autre sujet – peut-être le plus important de tous – semble en revanche ignoré ou relégué au second plan : la question de l’environnement.
C’est ce que l’on a pu observer début 2017 lors du rassemblement annuel du Forum économique mondial de Davos, en Suisse. Au-delà d’une simple évocation de l’accord climatique de Paris par le président chinois Xi Jinping, les sujets tels que le changement climatique et le développement durable n’ont même pas été portés sur le devant de la scène. Ces questions ont seulement été traitées dans le cadre de réunions en marge du Forum, et ont rarement semblé se mêler aux événements politiques et économiques actuels.
Nous commettons une erreur en laissant de côté les problématiques environnementales en cette période d’instabilité géopolitique et sociale, et pas seulement parce que cette négligence survient à un moment crucial dans la lutte contre le changement climatique, mais également parce que la dégradation et la précarité des ressources naturelles affectent notre capacité à résoudre quelques-uns des plus grands défis mondiaux auxquels nous sommes confrontés.
L’insécurité environnementale contribue considérablement, et bien souvent dans une mesure sous-estimée, à l’instabilité mondiale. Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés a révélé que les catastrophes naturelles avaient contraint au déplacement plus de 26 millions de personnes chaque année depuis 2008 – soit un tiers du nombre total de personnes contraintes de se déplacer au cours de cette période.
L’actuelle crise des réfugiés revêt elle-même une composante environnementale. Dans les années qui ont conduit à la guerre, la Syrie a connu la sécheresse la plus extrême de son histoire depuis que les relevés existent. Cette sécheresse, qui s’est accompagnée de pratiques agricoles peu durables et d’une mauvaise gestion des ressources, a contribué au déplacement interne d’1,5 million de Syriens, et catalysé l’agitation politique qui a conduit aux soulèvements de 2011.
Le lien entre pressions environnementales et pressions agricoles s’étend bien au-delà de la Syrie. L’exploitation agricole excessive de certaines régions conduit la production alimentaire à exacerber les problèmes environnementaux, voire à en créer de nouveaux. Commencent alors à s’opposer les intérêts des consommateurs mondiaux et ceux des citoyens locaux, comme cela a été le cas le long du fleuve Mississippi, où l’écoulement d’engrais issus de l’un des plus importants greniers à blé de la planète crée des inquiétudes quant à la qualité de l’eau.
Ce lien opère à double sens, dans la mesure où les conditions environnementales façonnent de leur côté la production agricole, et par conséquent le prix des produits agricoles de base, qui représentent environ 10 % des marchandises commercialisées à l’international. À titre d’exemple, la hausse des températures et l’évolution des volumes de précipitations poussent d’ores et déjà le prix du café à la hausse. Étant prévu que la surface mondiale de terres adaptées à la culture du café diminue de plus de moitié d’ici 2050, ces pressions tarifaires ne pourront que s’accentuer.
Un retour soudain au protectionnisme commercial pousserait encore davantage à la hausse les prix des produits de base. Une telle augmentation viendrait impacter les revenus des ménages agricoles, bénéficiant à certains exploitants tout en défavorisant les autres. Le consommateur final, notamment chez les plus démunis et les plus vulnérables, en souffrirait également.
Autre raison pour laquelle l’environnement doit demeurer au cœur des débats économiques, celui-ci joue le rôle de premier employeur mondial. Près d’un milliard de personnes, soit un peu moins de 20 % de la main d’œuvre planétaire, travaillent officiellement dans l’agriculture. Environ un milliard d’individus supplémentaires procèdent à une agriculture de subsistance, et n’entrent donc pas dans les statistiques officielles de salaires.
Toute initiative de soutien au développement économique doit guider la transition de cette population d’individus en direction d’activités à productivité plus élevée. Cette démarche est d’autant plus nécessaire à l’heure où des technologies de plus en plus sophistiquées et intégrées menacent de sauter une génération entière de travailleurs dans certains pays. Les efforts en faveur de cette population doivent s’axer non seulement sur l’éducation et la formation, mais également sur de nouveaux modèles permettant aux États de capitaliser sur leurs ressources environnementales – terres, bassins hydrologiques et espaces marins – sans pour autant les épuiser.
De la même manière que la précarité des ressources naturelles peut engendrer vulnérabilité et déplacements de populations, une gestion efficace de ces ressources peut contribuer à la résolution des conflits ainsi qu’à un développement économique durable. Sur ce front, les efforts de restauration environnementale, de renforcement de la résilience des communautés rurales, de développement d’une production agricole durable, et de soutien à une gestion environnementale fondée sur les communautés, montrent tous des résultats prometteurs.
Songez à l’initiative Northern Rangelands Trust, axée sur la création d’aires de conservation gérées par les communautés et permettant une exploitation durable et équitables des terres au Kenya. La NRT a permis aux communautés d’éleveurs d’instaurer des mécanismes efficaces de gouvernance de l’environnement dont ils dépendent, tout en atténuant les conflits liés aux droits de pâture, notamment en période de sécheresse.
La relation qu’entretiennent les individus avec leur environnement de vie fait partie intégrante de l’identité de nombreuses communautés. À travers une efficacité de gouvernance et de planification, un dialogue ouvert, la mise en place d’un partage encadré des ressources, et un investissement suffisant notamment en matière de formations qualifiantes, ces communautés peuvent transcrire cette relation en une véritable gestion environnementale efficace – et bâtir des sociétés plus saines et plus sûres.
Les crises qui frappent actuellement le monde sont des crises complexes. Mais une chose est sûre : l’environnement est étroitement lié à chacune d’entre elles. Les solutions élaborées ne signifieront rien s’il n’existe pas de monde sain à l’intérieur duquel les appliquer.
Traduit de l’anglais par Martin Morel
LONDRES – De toutes parts, le monde semble actuellement évoluer sur le fil du rasoir. Relations entre pays occidentaux et Russie, avenir de l’OTAN, guerre civile syrienne et crise migratoire, montée du populisme d’extrême droite, impact de l’automatisation, sortie prochaine du Royaume-Uni hors de l’Union européenne : toutes ces évolutions – et bien d’autres – agitent le débat public dans le monde entier. Un autre sujet – peut-être le plus important de tous – semble en revanche ignoré ou relégué au second plan : la question de l’environnement.
C’est ce que l’on a pu observer début 2017 lors du rassemblement annuel du Forum économique mondial de Davos, en Suisse. Au-delà d’une simple évocation de l’accord climatique de Paris par le président chinois Xi Jinping, les sujets tels que le changement climatique et le développement durable n’ont même pas été portés sur le devant de la scène. Ces questions ont seulement été traitées dans le cadre de réunions en marge du Forum, et ont rarement semblé se mêler aux événements politiques et économiques actuels.
Nous commettons une erreur en laissant de côté les problématiques environnementales en cette période d’instabilité géopolitique et sociale, et pas seulement parce que cette négligence survient à un moment crucial dans la lutte contre le changement climatique, mais également parce que la dégradation et la précarité des ressources naturelles affectent notre capacité à résoudre quelques-uns des plus grands défis mondiaux auxquels nous sommes confrontés.
L’insécurité environnementale contribue considérablement, et bien souvent dans une mesure sous-estimée, à l’instabilité mondiale. Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés a révélé que les catastrophes naturelles avaient contraint au déplacement plus de 26 millions de personnes chaque année depuis 2008 – soit un tiers du nombre total de personnes contraintes de se déplacer au cours de cette période.
L’actuelle crise des réfugiés revêt elle-même une composante environnementale. Dans les années qui ont conduit à la guerre, la Syrie a connu la sécheresse la plus extrême de son histoire depuis que les relevés existent. Cette sécheresse, qui s’est accompagnée de pratiques agricoles peu durables et d’une mauvaise gestion des ressources, a contribué au déplacement interne d’1,5 million de Syriens, et catalysé l’agitation politique qui a conduit aux soulèvements de 2011.
Le lien entre pressions environnementales et pressions agricoles s’étend bien au-delà de la Syrie. L’exploitation agricole excessive de certaines régions conduit la production alimentaire à exacerber les problèmes environnementaux, voire à en créer de nouveaux. Commencent alors à s’opposer les intérêts des consommateurs mondiaux et ceux des citoyens locaux, comme cela a été le cas le long du fleuve Mississippi, où l’écoulement d’engrais issus de l’un des plus importants greniers à blé de la planète crée des inquiétudes quant à la qualité de l’eau.
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Ce lien opère à double sens, dans la mesure où les conditions environnementales façonnent de leur côté la production agricole, et par conséquent le prix des produits agricoles de base, qui représentent environ 10 % des marchandises commercialisées à l’international. À titre d’exemple, la hausse des températures et l’évolution des volumes de précipitations poussent d’ores et déjà le prix du café à la hausse. Étant prévu que la surface mondiale de terres adaptées à la culture du café diminue de plus de moitié d’ici 2050, ces pressions tarifaires ne pourront que s’accentuer.
Un retour soudain au protectionnisme commercial pousserait encore davantage à la hausse les prix des produits de base. Une telle augmentation viendrait impacter les revenus des ménages agricoles, bénéficiant à certains exploitants tout en défavorisant les autres. Le consommateur final, notamment chez les plus démunis et les plus vulnérables, en souffrirait également.
Autre raison pour laquelle l’environnement doit demeurer au cœur des débats économiques, celui-ci joue le rôle de premier employeur mondial. Près d’un milliard de personnes, soit un peu moins de 20 % de la main d’œuvre planétaire, travaillent officiellement dans l’agriculture. Environ un milliard d’individus supplémentaires procèdent à une agriculture de subsistance, et n’entrent donc pas dans les statistiques officielles de salaires.
Toute initiative de soutien au développement économique doit guider la transition de cette population d’individus en direction d’activités à productivité plus élevée. Cette démarche est d’autant plus nécessaire à l’heure où des technologies de plus en plus sophistiquées et intégrées menacent de sauter une génération entière de travailleurs dans certains pays. Les efforts en faveur de cette population doivent s’axer non seulement sur l’éducation et la formation, mais également sur de nouveaux modèles permettant aux États de capitaliser sur leurs ressources environnementales – terres, bassins hydrologiques et espaces marins – sans pour autant les épuiser.
De la même manière que la précarité des ressources naturelles peut engendrer vulnérabilité et déplacements de populations, une gestion efficace de ces ressources peut contribuer à la résolution des conflits ainsi qu’à un développement économique durable. Sur ce front, les efforts de restauration environnementale, de renforcement de la résilience des communautés rurales, de développement d’une production agricole durable, et de soutien à une gestion environnementale fondée sur les communautés, montrent tous des résultats prometteurs.
Songez à l’initiative Northern Rangelands Trust, axée sur la création d’aires de conservation gérées par les communautés et permettant une exploitation durable et équitables des terres au Kenya. La NRT a permis aux communautés d’éleveurs d’instaurer des mécanismes efficaces de gouvernance de l’environnement dont ils dépendent, tout en atténuant les conflits liés aux droits de pâture, notamment en période de sécheresse.
La relation qu’entretiennent les individus avec leur environnement de vie fait partie intégrante de l’identité de nombreuses communautés. À travers une efficacité de gouvernance et de planification, un dialogue ouvert, la mise en place d’un partage encadré des ressources, et un investissement suffisant notamment en matière de formations qualifiantes, ces communautés peuvent transcrire cette relation en une véritable gestion environnementale efficace – et bâtir des sociétés plus saines et plus sûres.
Les crises qui frappent actuellement le monde sont des crises complexes. Mais une chose est sûre : l’environnement est étroitement lié à chacune d’entre elles. Les solutions élaborées ne signifieront rien s’il n’existe pas de monde sain à l’intérieur duquel les appliquer.
Traduit de l’anglais par Martin Morel