LE CAIRE / GABORONE (BOTSWANA) – La finance climatique est inefficace, insuffisante et inéquitable. Dans un contexte d’envolée des niveaux d’endettement et du coût des emprunts, l’action climatique doit être financée par un recours généralisé aux placements en actions et aux financements concessionnels. Pour cela, il faut avant tout bien comprendre ce dont ont besoin les pays africains – parmi les plus vulnérables aux changements climatiques alors qu’ils comptent parmi ceux qui ont le moins contribué au problème – quand on crée et quand on met en œuvre les outils de la finance verte.
Plus vite les dirigeants des économies avancées et des organisations internationales comprendront ce dont l’Afrique a besoin pour parvenir à une transition énergétique juste, plus vite ils lui fourniront les financements et les transferts de technologie nécessaire, plus les chances de voir le monde atteindre la neutralité des émissions carbonées d’ici 2050 seront grandes.
Le Kenya accueille pour quelques jours le premier sommet africain sur le climat, qu’accompagnera une semaine africaine du climat, dans le but de multiplier les engagements et les soutiens aux efforts d’adaptation et d’augmentation la production d’énergie renouvelable sur le continent. C’est donc le moment, pour les gouvernements, le secteur privé et les prêteurs multilatéraux, de commencer à faire tomber les barrières systémiques qui s’opposent aux investissements dans les pays d’Afrique et, conséquemment, à leur développement.
Pour atteindre les cibles d’émissions fixées par l’accord de Paris sur le climat, l’Afrique aura besoin d’ici 2030 de 2 800 milliards de dollars – environ 93 % du PIB continental. Mais la dette cumulée africaine atteint 1 800 milliards de dollars en 2022, et nombre de pays africains ne disposent pas des marges budgétaires suffisantes pour mobiliser leurs ressources intérieures.
Les investisseurs internationaux doivent combler cet écart en fournissant les financements et les transferts de technologie qui contribueront à construire de nouvelles capacités et à développer l’industrie locale ; on ne peut plus se contenter d’exploiter les ressources naturelles dont dispose le continent. À cette fin, c’est dès cette semaine, au Kenya, en amont de la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques (COP28), à Dubaï, en novembre, que les gouvernements et les bailleurs de fonds devraient commencer à mettre en œuvre cinq réformes indispensables pour que puissent être satisfaits les besoins de financements de l’Afrique.
Premièrement, les prêteurs doivent proposer aux marchés émergents et aux économies en développement plus de financements concessionnels. La Banque mondiale et les banques multilatérales de développements (BMD), soutenues par les contributions des économies avancées au titre de la lutte contre les changements climatiques, devraient consentir aux pays à faible revenu et à revenu intermédiaire inférieur des prêts à des taux d’intérêt de 1 %, remboursables en vingt ans, après une période grâce de dix ans, dès lors qu’il s’agit d’initiatives destinées à renforcer la résilience climatique. En outre, les mécanismes de prêt comme l’Association internationale de développement, l’institution de la Banque mondiale chargée de venir en aide aux pays les plus pauvres, devraient être étendus aux pays à revenu intermédiaire inférieur et adoptés par différentes institutions multilatérales.
Les gouvernements et les agences de développement devraient aussi constituer des réserves suffisamment importantes et souples de capitaux concessionnels affectés à des projets climatiques. Ils devraient également mettre à l’étude de nouvelles possibilités de taxes internationales afin d’octroyer des subventions, plutôt que des prêts, lorsque les financements traditionnels, privés ou publics, ne suffisent pas.
Deuxièmement, les BMD peuvent mettre en place des dispositifs d’amélioration des termes du crédit et de garantie afin d’attirer les participations du secteur privé. Ces assurances réduiraient les risques et renforceraient la confiance des investisseurs, ce qui aurait pour effet de canaliser vers l’Afrique des capitaux privés, dont elle a grand besoin.
Troisièmement, les créanciers, y compris parmi les pays du G20, doivent concéder des allègements de dettes aux pays à faible revenu et à revenu intermédiaire inférieur. Si l’on considère qu’environ 60 % des pays à faible revenu sont surendettés ou risquent de le devenir, un moratoire sur les remboursements ou, mieux, des annulations de dettes auraient une action très positive sur leur capacité à réagir aux effets dévastateurs du réchauffement mondial. Les BMD doivent traduire les clauses de résilience climatique par des contrats de prêts pour les pays pauvres, que la Banque mondiale a déjà annoncés cette année. En outre, des remises de dettes en échange d’actions de préservation de la nature ou du climat, pourraient permettre aux pays qui en bénéficieraient de rembourser leurs dettes en investissant dans la protection de la biodiversité et des équilibres climatiques.
Fort des ses récents efforts pour l’octroi de 100 milliards de dollars en droits de tirage spéciaux (DTS) aux pays les plus vulnérables aux changements climatiques, le Fonds monétaire international devrait allouer 100 milliards de dollars supplémentaires en capital libéré et rediriger les DTS vers les BMD, à commencer, ce mois-ci, par la Banque africaine de développement. Cela irait dans le sens de la déclaration de Marrakech, une initiative de réforme de l’architecture financière mondiale lancée à l’appel des ministres des finances africains.
Quatrièmement, un fonds multipartenaires doit être constitué pour contribuer à réduire les risques de change encourus par les investisseurs privés et permettre en Afrique des placements couverts dans une devise performante. Un tel fonds réduirait considérablement les risques perçus d’investissements sur les marchés émergents et dans les pays en développement, même dans des conditions de change instables.
Enfin, les prêteurs devraient soutenir la création d’une facilité qui accélérerait les projets existants et les programmes sur le continent, notamment ceux qui préservent la nature et aident les communautés à s’adapter aux événements météorologiques extrêmes tels que sécheresses, inondations et vagues de chaleur. Les bailleurs de fonds multiples et les instruments d’investissements déjà actifs en Afrique pourraient mettre en place cette facilité, ce qui éviterait les opérations fastidieuses inhérentes à constitution d’un nouveau fonds.
Des progrès sur ces cinq réformes ont déjà été réalisés. Lors du Sommet pour un nouveau pacte financier mondial, qui s’est tenu à Paris au mois de juin, le Sénégal a obtenu 2,7 milliards d’investissements des pays développés dans son énergie renouvelable, et la Zambie a conclu un accord de restructuration de sa dette à hauteur de 6,3 milliards de dollars.
Pendant ce temps, le groupe African Risk Capacity, mutuelle panafricaine de gestion des risques, qui propose des assurances paramétriques contre les catastrophes naturelles, a déjà alloué 720 millions de dollars à l’indemnisation de 72 millions de personnes depuis 2014. Il est possible d’augmenter substantiellement ce niveau d’assistance en abondant rapidement le Fonds pour les pertes et dommages créé l’année dernière à l’occasion de la COP27 en Égypte.
Les mesures innovantes de financement aideront les pays d’Afrique à se relever des catastrophes naturelles, à construire leur résilience aux chocs futurs et à opérer leur transition énergétique – tous résultats qui se traduiront par des gains de développement durable. Mais le continent a besoin d’une augmentation considérable de ses financements pour tirer tous les bénéfices de l’action climatique.
Traduit de l’anglais par François Boisivon
Mahmoud Mohieldin est champion de haut niveau d’Égypte pour l’action climatique à la COP28 de Dubaï. Bogolo Kenewendo est conseiller spécial et directeur Afrique des champions de haut niveau de l’ONU pour l’action climatique. Reuben Wambui est expert en finance climatique de la Net-Zero Africa Initiative.
LE CAIRE / GABORONE (BOTSWANA) – La finance climatique est inefficace, insuffisante et inéquitable. Dans un contexte d’envolée des niveaux d’endettement et du coût des emprunts, l’action climatique doit être financée par un recours généralisé aux placements en actions et aux financements concessionnels. Pour cela, il faut avant tout bien comprendre ce dont ont besoin les pays africains – parmi les plus vulnérables aux changements climatiques alors qu’ils comptent parmi ceux qui ont le moins contribué au problème – quand on crée et quand on met en œuvre les outils de la finance verte.
Plus vite les dirigeants des économies avancées et des organisations internationales comprendront ce dont l’Afrique a besoin pour parvenir à une transition énergétique juste, plus vite ils lui fourniront les financements et les transferts de technologie nécessaire, plus les chances de voir le monde atteindre la neutralité des émissions carbonées d’ici 2050 seront grandes.
Le Kenya accueille pour quelques jours le premier sommet africain sur le climat, qu’accompagnera une semaine africaine du climat, dans le but de multiplier les engagements et les soutiens aux efforts d’adaptation et d’augmentation la production d’énergie renouvelable sur le continent. C’est donc le moment, pour les gouvernements, le secteur privé et les prêteurs multilatéraux, de commencer à faire tomber les barrières systémiques qui s’opposent aux investissements dans les pays d’Afrique et, conséquemment, à leur développement.
Pour atteindre les cibles d’émissions fixées par l’accord de Paris sur le climat, l’Afrique aura besoin d’ici 2030 de 2 800 milliards de dollars – environ 93 % du PIB continental. Mais la dette cumulée africaine atteint 1 800 milliards de dollars en 2022, et nombre de pays africains ne disposent pas des marges budgétaires suffisantes pour mobiliser leurs ressources intérieures.
Les investisseurs internationaux doivent combler cet écart en fournissant les financements et les transferts de technologie qui contribueront à construire de nouvelles capacités et à développer l’industrie locale ; on ne peut plus se contenter d’exploiter les ressources naturelles dont dispose le continent. À cette fin, c’est dès cette semaine, au Kenya, en amont de la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques (COP28), à Dubaï, en novembre, que les gouvernements et les bailleurs de fonds devraient commencer à mettre en œuvre cinq réformes indispensables pour que puissent être satisfaits les besoins de financements de l’Afrique.
Premièrement, les prêteurs doivent proposer aux marchés émergents et aux économies en développement plus de financements concessionnels. La Banque mondiale et les banques multilatérales de développements (BMD), soutenues par les contributions des économies avancées au titre de la lutte contre les changements climatiques, devraient consentir aux pays à faible revenu et à revenu intermédiaire inférieur des prêts à des taux d’intérêt de 1 %, remboursables en vingt ans, après une période grâce de dix ans, dès lors qu’il s’agit d’initiatives destinées à renforcer la résilience climatique. En outre, les mécanismes de prêt comme l’Association internationale de développement, l’institution de la Banque mondiale chargée de venir en aide aux pays les plus pauvres, devraient être étendus aux pays à revenu intermédiaire inférieur et adoptés par différentes institutions multilatérales.
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Les gouvernements et les agences de développement devraient aussi constituer des réserves suffisamment importantes et souples de capitaux concessionnels affectés à des projets climatiques. Ils devraient également mettre à l’étude de nouvelles possibilités de taxes internationales afin d’octroyer des subventions, plutôt que des prêts, lorsque les financements traditionnels, privés ou publics, ne suffisent pas.
Deuxièmement, les BMD peuvent mettre en place des dispositifs d’amélioration des termes du crédit et de garantie afin d’attirer les participations du secteur privé. Ces assurances réduiraient les risques et renforceraient la confiance des investisseurs, ce qui aurait pour effet de canaliser vers l’Afrique des capitaux privés, dont elle a grand besoin.
Troisièmement, les créanciers, y compris parmi les pays du G20, doivent concéder des allègements de dettes aux pays à faible revenu et à revenu intermédiaire inférieur. Si l’on considère qu’environ 60 % des pays à faible revenu sont surendettés ou risquent de le devenir, un moratoire sur les remboursements ou, mieux, des annulations de dettes auraient une action très positive sur leur capacité à réagir aux effets dévastateurs du réchauffement mondial. Les BMD doivent traduire les clauses de résilience climatique par des contrats de prêts pour les pays pauvres, que la Banque mondiale a déjà annoncés cette année. En outre, des remises de dettes en échange d’actions de préservation de la nature ou du climat, pourraient permettre aux pays qui en bénéficieraient de rembourser leurs dettes en investissant dans la protection de la biodiversité et des équilibres climatiques.
Fort des ses récents efforts pour l’octroi de 100 milliards de dollars en droits de tirage spéciaux (DTS) aux pays les plus vulnérables aux changements climatiques, le Fonds monétaire international devrait allouer 100 milliards de dollars supplémentaires en capital libéré et rediriger les DTS vers les BMD, à commencer, ce mois-ci, par la Banque africaine de développement. Cela irait dans le sens de la déclaration de Marrakech, une initiative de réforme de l’architecture financière mondiale lancée à l’appel des ministres des finances africains.
Quatrièmement, un fonds multipartenaires doit être constitué pour contribuer à réduire les risques de change encourus par les investisseurs privés et permettre en Afrique des placements couverts dans une devise performante. Un tel fonds réduirait considérablement les risques perçus d’investissements sur les marchés émergents et dans les pays en développement, même dans des conditions de change instables.
Enfin, les prêteurs devraient soutenir la création d’une facilité qui accélérerait les projets existants et les programmes sur le continent, notamment ceux qui préservent la nature et aident les communautés à s’adapter aux événements météorologiques extrêmes tels que sécheresses, inondations et vagues de chaleur. Les bailleurs de fonds multiples et les instruments d’investissements déjà actifs en Afrique pourraient mettre en place cette facilité, ce qui éviterait les opérations fastidieuses inhérentes à constitution d’un nouveau fonds.
Des progrès sur ces cinq réformes ont déjà été réalisés. Lors du Sommet pour un nouveau pacte financier mondial, qui s’est tenu à Paris au mois de juin, le Sénégal a obtenu 2,7 milliards d’investissements des pays développés dans son énergie renouvelable, et la Zambie a conclu un accord de restructuration de sa dette à hauteur de 6,3 milliards de dollars.
Pendant ce temps, le groupe African Risk Capacity, mutuelle panafricaine de gestion des risques, qui propose des assurances paramétriques contre les catastrophes naturelles, a déjà alloué 720 millions de dollars à l’indemnisation de 72 millions de personnes depuis 2014. Il est possible d’augmenter substantiellement ce niveau d’assistance en abondant rapidement le Fonds pour les pertes et dommages créé l’année dernière à l’occasion de la COP27 en Égypte.
Les mesures innovantes de financement aideront les pays d’Afrique à se relever des catastrophes naturelles, à construire leur résilience aux chocs futurs et à opérer leur transition énergétique – tous résultats qui se traduiront par des gains de développement durable. Mais le continent a besoin d’une augmentation considérable de ses financements pour tirer tous les bénéfices de l’action climatique.
Traduit de l’anglais par François Boisivon
Mahmoud Mohieldin est champion de haut niveau d’Égypte pour l’action climatique à la COP28 de Dubaï. Bogolo Kenewendo est conseiller spécial et directeur Afrique des champions de haut niveau de l’ONU pour l’action climatique. Reuben Wambui est expert en finance climatique de la Net-Zero Africa Initiative.