Vladimir Poutine, Saison 2

Les opinions sur Vladimir Poutine sont des plus diversifiées. Considéré comme un leader “autoritaire”, “autocrate”, voire comme un “dictateur” en Occident, il est perçu par une grande majorité de Russes comme le plus “démocrate” des chefs d’États, au prétexte qu’il a fait plus que ses prédécesseurs pour améliorer le quotidien des citoyens ordinaires. Il y a un point sur lequel les deux camps tombent cependant d’accord : Poutine souhaite rester au pouvoir indéfiniment.

Cette conclusion est motivée par le fait que Poutine a récemment déclaré qu’il pourrait devenir Premier ministre à la fin de son mandat présidentiel en mai prochain. Toutefois, quoi qu’il fasse, son influence personnelle et la direction stratégique qu’il a choisie pour la Russie resteront dominantes pour les années à venir.

Considérant cet état de fait, le plus important est désormais de savoir comment ce “système Poutine” va fonctionner, ce qui dépendra des pratiques et du cadre institutionnels. Étant données les perspectives de modernisation économique et politique, c’est la stabilité et la légitimité qui sont en jeu, tant pour la Russie que le reste du monde.

La légitimité et la stabilité sont inséparables en pratique, car le maintien de la stabilité sans légitimité finirait par nécessiter une répression de style Tienanmen. Toutefois, cela ne peut arriver dans la Russie d’aujourd’hui, en raison de l’absence des instruments nécessaires à ce type telle répression – notamment une armée prête à s’en prendre violemment à la population.

De nombreux sondages d’opinion montrent que la présidence est la seule institution que les Russes reconnaissent comme légitime (par opposition aux pouvoirs législatif et judicaire, qui sont perçus comme corrompus et inefficaces). Cela n’est pas étonnant au regard de l’histoire et de la culture du pays. Plus important, une majorité presque aussi large est attachée à la possibilité de convoquer et révoquer leur tsar – lors d’élections libres, tenues à intervalles réguliers, conformément à la constitution.

Dans le contexte politique actuel de la Russie, qui culminera avec les élections présidentielles de mars 2008, il ne sera pas trop difficile de remplir la condition principale de la légitimité : respecter les règles constitutionnelles sur la liberté des élections présidentielles. Étant donnée la popularité de Poutine, ces règles ne représentent aucun danger pour le pouvoir en place. Les électeurs voteront avec enthousiasme pour quiconque aura reçu la bénédiction de Poutine.

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Toutefois, si l’on pense au cycle politique suivant, qui débutera en 2012, ou à celui d’après, en 2016, rien ne garantit que les conditions d’aujourd’hui pourront encore s’appliquer. La plus forte des popularités peut fondre comme neige au soleil. Même dans les cas de figure les plus optimistes, les attentes en matière d’augmentation du niveau de vie ne pourront correspondre à la réalité. Il y aura des déceptions.

Si, d’ici là, le système politique n’a pas acquis une plus grande protection institutionnelle et si la légitimité présidentielle repose encore – comme aujourd’hui – uniquement sur l’approbation donnée par le public à un titulaire entouré par d’obscures factions du Kremlin ne cessant de se quereller, les risques de déstabilisation chronique sont grands. Dans ces circonstances, un régime isolé devenant de moins en moins populaire pourrait décider d’annuler ou de fausser les élections présidentielles une fois le moment venu.

C’est ce qui s’est passé en Ukraine en novembre 2004, avec les suites que l’on sait. Il serait toutefois naïf de penser que les conséquences en Russie seraient aussi bénignes que la “révolution orange” ukrainienne.

Intégrer la présidence dans des structures et procédures politiques plus vastes – notamment dans les partis politiques – réduirait ce risque. Un parti politique doté d’un instinct de survie naturel présenterait un nouveau candidat aux élections, afin de remplacer le président impopulaire en place.

Il se trouve que Poutine est aujourd’hui en train d’asseoir le parti déjà dominant “Russie unie” par sa décision de prendre la tête de la liste du candidat du parti pour les élections parlementaires de décembre. La Russie pourrait-elle imiter le Japon de l’après-guerre, dans lequel un seul parti dominant a revitalisé et modernisé le pays ?

Comme toutes les analogies historiques, celle-ci risque de se révéler fausse, mais elle n’est pas absurde. Le Japon, qui vit de facto sous le régime du parti unique, est un pays plus démocratique qu’autoritaire, ce qu’il doit non seulement à son cadre législatif, mais également à sa culture de la responsabilité. L’élite du Parti libéral démocrate (PLD) répond toujours aux humeurs et aux préoccupations de la population – souvent en volant les idées de ses adversaires.

Bien que rien ne vaille une libre alternance du pouvoir entre deux partis politiques ou plus, il vaudrait mieux encore pour le pays que “Russie unie” évolue vers un parti de type PLD plutôt que de maintenir un régime personnel confiné au Kremlin. Malgré ce que nous a appris l’histoire russe depuis 1917, mieux vaut un parti dominant que pas de parti du tout.

Les déclarations récente de Poutine tendent vers ce schéma : un parti de centre-droite au pouvoir, avec une opposition sociale démocrate (non communiste) attendant en touche, pour maintenir la stabilité si le parti principal venait à tomber. Comme souvent en politique, tout dépendra du degré avec lequel Poutine sera prêt à traduire ses paroles en actes lorsqu’il aura quitté la présidence.

S’il choisit d’utiliser la grande influence qui est encore la sienne au travers de “Russie unie” (avec son inévitable majorité au parlement nouvellement élu), nous saurons que ses dires étaient sincères. Si, au contraire, il quitte la présidence, se fait nommer Premier ministre et remanie la constitution pour que ce dernier récupère les pouvoirs du président, nous saurons qu’il se dirige vers l’établissement d’un régime personnel.

Amputer la présidence élue, seule source de légitimité politique en Russie, serait semer les graines du désordre. L’habitude de changer les règles pour se maintenir au pouvoir risquerait de persister bien après le départ de Poutine, mais il n’en irait pas de même de la stabilité superficielle de ses différents mandats.

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