La morale de la peine capitale

On reproche souvent aux États-unis leur refus d'abolir la peine de mort. Nombreux sont ceux à prétendre aujourd'hui que l'abolition de la peine capitale est une condition nécessaire pour établir un système civilisé de droit pénal. Le prix Nobel Gary Becker n'est pas de cet avis.

Les gouvernements européens sont résolument opposés à la peine de mort – l'Union européenne l'interdit complètement, et certains Européens considèrent que son utilisation aux États-unis relève de la barbarie. En fait, de nombreux intellectuels européens estiment que la peine capitale, et toute peine en général, ne dissuade pas les criminels.

Mais alors que les Européens, avec des taux de criminalité bien inférieurs à ceux des États-Unis lors du dernier demi-siècle, ont pu pendant longtemps se permettre une certaine “douceur” à l'égard de la plupart des crimes, il ont vu leur taux de criminalité augmenter de façon brutale au cours des vingt dernières années. Au contraire, les taux américains ont chuté en partie grâce à l'utilisation accrue des châtiments.

La peine capitale en fait partie. Je suis pour l'exécution de certaines personnes accusées de meurtre car, et pour cette raison seulement, je crois que cela empêche d'autres meurtres. Si je n'en étais pas convaincu, je serais opposé à la peine capitale, car la vengeance et d'autres motivations possibles ne doivent pas servir de fondement à une politique publique.

Les recherches empiriques sérieuses sur la peine capitale aux États-Unis ont commencé avec une étude d'Isaac Ehrlich, publiée en 1975 dans l'American Economic Review. Certaines études qui ont suivi ont parfois découvert un pouvoir de dissuasion bien plus faible, d'autres un effet bien plus fort. Cependant, les informations disponibles sont assez limitées, il convient donc de ne pas baser ses conclusions uniquement sur les preuves économétriques.

Évidemment, la politique publique en matière de châtiment ne peut espérer des preuves parfaites. Mais même avec les preuves quantitatives limitées dont on dispose, les bonnes raisons de croire au pouvoir dissuasif de la peine capitale sont suffisantes.

PS Events: Climate Week NYC 2024
image (24)

PS Events: Climate Week NYC 2024

Project Syndicate is returning to Climate Week NYC with an even more expansive program. Join us live on September 22 as we welcome speakers from around the world at our studio in Manhattan to address critical dimensions of the climate debate.

Register Now

La plupart des gens, et les meurtriers en particulier, ont peur de la mort, surtout lorsqu'elle suit rapidement et quasi inexorablement la perpétration d'un meurtre. Comme le dit David Hume à propos du suicide, “aucun homme n'a jamais rejeté la vie tant qu'elle valait la peine d'être vécue. Telle est notre horreur naturelle de la mort …” De même, Schopenhauer pensait que “quand les horreurs de la vie atteignent le point où elles dépassent les horreurs de la mort, un homme met un terme à sa vie. Mais les terreurs de la mort opposent une résistance considérable…”

Les opposants à la peine de mort proclament souvent que l'État n'a pas le droit, moralement, de prendre la vie de quiconque, serait-ce celle du meurtrier le plus condamnable. Pourtant c'est une conclusion tout à fait erronée pour qui pense que la peine capitale est dissuasive.

Pour voir pourquoi, supposez que pour chaque meurtrier exécuté, (au lieu, disons, d'être condamné à la prison à vie) le nombre de meurtres soit réduit de trois, ce qui est un chiffre bien inférieur à celui d'Ehrlich et à d'autres estimations de l'effet de dissuasion. Cela implique que pour chaque meurtrier non encore exécuté, trois victimes innocentes périront. En fait, le gouvernement “prendrait” indirectement de nombreuses vies s'il n'avait pas recours à la peine de mort.

Sauver trois vies innocentes pour chaque personne exécutée semble un marché très attractif, et même deux vies sauvées par exécution paraît un ratio coût/bénéfice persuasif en faveur de la peine de mort. Il faut convenir cependant que la thèse en faveur de la peine capitale devient moins tranchée lorsque le nombre de vies sauvées à chaque exécution chute. Mais même si une seule vie était sauvée à chaque exécution, le marché peut encore être souhaitable si la vie sauvée est bien meilleure que la vie supprimée, ce qui est généralement le cas.

Beaucoup protestent à l'idée de comparer les qualités de la vie épargnée et de celle qui est supprimée. Pourtant je ne vois pas comment éviter une telle comparaison. Prenez le cas d'un criminel de carrière volant et tuant une victime qui menait une vie correcte et laisse plusieurs enfants et un partenaire derrière elle. Supposez qu'il soit possible de sauver la vie d'une victime innocente en exécutant un criminel de ce genre. Il me paraît évident que sauver la vie d'une telle victime doit peser plus lourd que prendre la vie du criminel. Évidemment, tous les cas ne sont pas aussi clairs, mais une comparaison des qualités des vies individuelles doit faire partie de toute politique sociale raisonnable.

Voilà aussi pourquoi la peine capitale ne devrait être utilisée que pour les meurtres et non pour les crimes moins graves. Lorsqu'il s'agit de choisir entre prendre des vies et, par exemple, réduire les vols de biens privés, la thèse du châtiment plus clément est bien plus puissante. Bien que de graves agressions, notamment certains viols épouvantables, approchent parfois les meurtres dans leur gravité, et pourraient éventuellement appeler la peine de mort, je ne suis pas pour son utilisation dans ce genre de cas.

Un des principaux arguments pour réserver la peine capitale aux meurtres est la “dissuasion marginale.” Si les agressions étaient punies par la peine de mort, cela pousserait les agresseurs à tuer leurs victimes pour ne pas être découverts (ce qui est une raison majeure pour que la sévérité des châtiments soit proportionnelle à la gravité des crimes).

L'une des complications pourrait être cependant qu'un meurtrier se battrait avec plus de pugnacité pour éviter d'être capturé, ce qui pourrait provoquer davantage de morts. Mais, bien que la dissuasion marginale soit importante, je crois que la résistance des meurtriers à leur capture, parfois aux dépens de leur propre vie, constitue réellement une preuve indirecte que les criminels craignent la peine capitale.

Naturellement, le risque d'exécuter des innocents me préoccupe. Mon soutien à la peine capitale faiblirait beaucoup si le taux d'exécution de personnes innocentes était aussi important que beaucoup le prétendent. Cependant, je crois que les procès en appel aux États-unis offrent une protection énorme, pas tant contre les condamnations injustes que contre les exécutions injustes, ce qui fait qu'il n'y a que très peu, voire pas du tout, de cas de personnes exécutées dont il soit prouvé qu'elles aient été innocentes. Et cette situation a été immensément consolidée par le développement de l'identification par l'ADN.

J'affirme à nouveau que le débat autour de la peine de mort est un débat sur le pouvoir de dissuasion (qui peut se voir diminué par des appels trop longs). Je peux comprendre que certains restent sceptiques devant les preuves existantes, bien que je pense qu'ils ont tort à propos de cela ainsi que sur la question du bon sens du problème. Il est très perturbant de prendre la vie de quelqu'un, même celle d'un meurtrier, mais parfois des actes extrêmement déplaisants sont nécessaires pour empêcher des comportements encore pires causant la mort de victimes innocentes.

https://prosyn.org/VECgZ8zfr