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Au Royaume-Uni, l'élection du changement ne change rien

LONDRES – « Il faut que tout change pour que rien ne change. » Le célèbre aphorisme de Giuseppe Tomasi de Lampedusa dans son romanLe Guépard, forgé en mémoire des temps révolutionnaires, convient parfaitement à ce qui s’est passé dans la nuit de jeudi à vendredi derniers au Royaume-Uni. Le Labour est sorti vainqueur de l’alternance la plus ample de toute l’histoire britannique, alors que les Conservateurs, qui affichaient autrefois une santé et une réussite arrogantes au regard de tant d’autres partis de gouvernement, ont bel et bien failli disparaître.

Cette révolution électorale fut mise en branle par le titre du programme travailliste, qui tient en un mot : « Changement. » Mais, paradoxalement, tout ce qui compte au Royaume-Uni demeurera peu ou prou inchangé après la victoire écrasante du Labour. Car la direction du parti, dans un contraste saisissant avec son slogan, maintient des positions qu’on ne pourrait guère distinguer de celles des Conservateurs dans quatre domaines politiques essentiels : les dépenses publiques et l’emprunt ; la restauration des relations avec l’Union européenne ; le conflit avec la Chine et la Russie ; et la réforme d’un système électoral qui pourrait accoucher d’une dictature. Ces positions vont considérablement restreindre les capacités du nouveau gouvernement à changer le cap du pays.

En conséquence de quoi les perspectives pour l’économie britannique demeurent maussades, surtout lorsqu’on les compare au reste de l’Europe, et elles ne s’amélioreront probablement pas à moins que le nouveau gouvernement ne renie sa promesse de suivre peu ou prou la même politique que les Tories. Il semble probable qu’on assiste à un virage à 180° en matière de politique budgétaire, mais pas avant un an ou deux – ce qui correspond au temps qu’il faudra à l’opinion pour comprendre que le Labour ne peut tenir ses promesses, qu’elles concernent le logement, les soins de santé, l’éducation ou la défense, s’il suit les « règles budgétaires » arbitraires fixées par les Tories – qui, quant à eux, ne se sont pas gênés pour les enfreindre.

Il est assez probable qu’une crise économique ou politique majeure – par exemple une vague de grèves des médecins, des infirmiers et infirmières, des enseignantes et enseignants, des agents de police, etc., déçus de l’écart considérable entre les salaires du secteur public et du secteur privé, qui s’est creusé avec la pandémie du Covid-19 – précipite la nécessaire augmentation des dépenses publiques. Dans le même temps, il n’est pas improbable que le nouveau gouvernement travailliste modifie à la marge les impôts, en taxant par exemple les profits du capital, ce qui aura pour conséquence d’entamer la confiance des milieux d’affaires et des milieux financiers sans pour autant apporter beaucoup plus de recettes supplémentaires.

Plus fondamentalement, le handicap structurel du Brexit continuera de peser sur la croissance, la productivité et le niveau de vie au Royaume-Uni. Les graphiques ci-dessous mettent en évidence les piètres résultats économiques du pays depuis le référendum de 2016, qui contrastent avec sa performance, parmi les meilleures au monde, au cours des vingt-cinq années qui ont précédé. Durant la période qui a précédé le Brexit, le Royaume-Uni a profité des avantages liés à sa participation au marché unique, sans souffrir les coûts infligés aux autres États membres par le projet de l’euro ou par son prédécesseur mal conçu, le mécanisme de change européen (MCE).

Le moyen le plus évident de renforcer le faible taux de croissance du Royaume-Uni depuis 2016, sans même devoir augmenter la dépense publique et l’emprunt, serait de restaurer la relation économique d’avant le Brexit avec l’Union européenne, tout en demeurant en dehors de ses structures politiques. Mais il faudrait pour cela que le nouveau gouvernement travailliste s’engage dans un long processus de réintégration dans l’union douanière européenne, de préparation à sa réinsertion dans le marché unique et de rétablissement de la liberté de mouvement.

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Voici un an, ce rapprochement avec l’Union européenne aurait pu fournir au Labour une politique soutenable. Mais ce n’est plus le cas. Afin de témoigner que la divergence avec l’Europe était désormais inscrite de façon pérenne dans l’idéologie du parti travailliste et n’était pas seulement un expédient temporaire pour rallier les électeurs et les électrices de la classe laborieuse favorables au Brexit, Keir Starmer, aujourd’hui premier ministre, est allé jusqu’à exclure que le Royaume-Uni rejoigne de son vivant l’union douanière ou le marché unique européens. Il a fait cette déclaration, qui plus est, deux jours seulement avant le vote, alors qu’il était déjà certain d’une victoire écrasante.  

S’il est aujourd’hui hors de question de restaurer la relation économique avec l’Union européenne, et si la stimulation budgétaire ne semble possible qu’après une crise économique ou politique – d’une nature ou d’une autre –, que peut faite Starmer pour relancer la croissance économique ? Les panacées proposées par la gauche ou la droite durant la campagne ne convainquent pas : réforme du foncier, « politiques industrielles » censées accélérer le progrès technologique, plans d’économie dans les services publics, meilleurs partenariats public-privé dans l’énergie et le raccordement aux services essentiels… Ce ne sont pas vraiment des idées révolutionnaires ; de fait, beaucoup d’entre elles ont déjà été tentées par de précédents gouvernements.

Il eût été possible, pour compenser – partiellement – la baisse des échanges avec l’Union européenne, de conclure un nouveau partenariat commercial et d’investissement avec la Chine (seul argument économique convaincant des Brexiters durant la campagne pour le référendum de 2016), mais la position d’hostilité du nouveau gouvernement travailliste à l’égard de la Chine, conforme à ce qui fut celle de ses prédécesseurs conservateurs, exclut ce type d’accord.

À moyen terme, les performances économiques du Royaume-Uni sont vouées à la médiocrité, car le nouveau gouvernement ne parviendra pas à relancer la croissance et la productivité, c’est-à-dire à tenir ses promesses sans recourir à l’impôt ou à l’emprunt. À court terme, pourtant, un sursaut de la confiance du consommateur, qui semble accompagner chaque renouvellement de la Chambre des députés, pourrait créer un certain optimisme – et une tendance aux spéculations à la hausse sur les actifs cycliques, comme le montre le graphique ci-dessous.

 La régularité du phénomène n’a pas réellement d’explication. Peut-être traduit-il l’optimisme de l’électorat à l’égard des dirigeants qu’il vient de choisir. Mais nombreux sont ceux qui finissent par regretter leur choix, généralement plus vite qu’ils l’auraient cru.

Traduit de l’anglais par François Boisivon

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