WASHINGTON – Les groupes de pression de droite font le siège des tribunaux américains. Leur but : manipuler la magistrature fédérale pour privilégier les grands employeurs sur les salariés, les banques géantes sur les petites entreprises et les armuriers sur les victimes de la violence armée. Encore et encore, le programme politique poursuivi par la Federalist Society fait la loi aux dépens du citoyen. Cette organisation agit, plus qu’aucune autre, pour déplacer le plus possible vers la droite le pouvoir judiciaire fédéral. Si sa persévérance parvient aujourd’hui à ses fins dans un dossier qui a peu fait parler de lui, porté devant la Cour suprême, des intérêts occultes consolideront, pour les générations à venir, leur emprise sur le droit constitutionnel des États-Unis.
En tant que présidents des sous-comités sur les tribunaux du Sénat et de la Chambre, nous avons pu observer de près l’empiètement de l’argent de l’ombre sur le pouvoir judiciaire. Les discrets intérêts qui exercent cette influence ont dicté l’identité des trois derniers juges nommés à la Cour suprême, puis fait pression sur le Sénat pour qu’il confirme leur nomination, en dépensant notamment des millions de dollars pour des campagnes nationales de publicité à la radio et à la télévision (en faveur surtout du juge Brett Kavanaugh lorsque la procédure de confirmation s’est heurtée à des difficultés).
Ayant contribué à pourvoir la magistrature fédérale en juges favorables à leurs objectifs, des groupes de juristes financés par un même réseau, ont tour à tour constitué des dossiers susceptibles d’atterrir devant la Cour suprême, appuyés par toutes sortes d’informations, opinions et mémoires déposés chacun par un amicus curiae, en appui des cas soutenus. Ces mémoires émanant de personnes extérieures à la Cour constituent le dernier mouvement d’une œuvre orchestrale stratégiquement dirigée, en l’occurrence une opération d’envergure visant au contrôle de la jurisprudence.
L’argent de l’ombre est la clé de cette opération : à savoir des sommes dont les donateurs ne peuvent être identifiés. Des intérêts privés ont construit un vaste réseau de de groupes de façade collectant l’argent de l’ombre afin de s’assurer des fonctions essentielles au contrôle de la jurisprudence, du choix des juges qui seront nommés jusqu’à celui des cas qui leur seront soumis, à grands renforts d’actions de lobbying exprimées dans les mémoires déposés par les amici curiae (les « amis de la cour [ou du tribunal] »). Pour la seule période courant de 2014 à 2018, ce réseau a reçu, selon la récente déposition d’un expert devant le Sénat, 400 millions de dollars.
Malheureusement, c’est un fait, cette campagne financée par l’argent de l’ombre fonctionne. Avant même que la juge Amy Coney Barrette ne rejoigne la Cour suprême, dans les derniers jours de l’administration de Donald Trump, la majorité républicaine de cinq juges a accumulé une série de 80 victoires sur des affaires ayant donné lieu à des verdicts partisans (5 voix contre 4) en faveur des intérêts d’importants donateurs républicains. Mais la grande récompense pourrait provenir de l’affaire Americans for Prosperity contre Rodriquez, où la Cour serait en mesure d’arrêter qu’une élite donatrice de droite jouit d’un droit constitutionnel au secret lorsqu’elle utilise des groupes de façade pour influencer la vie politique ou le jugement des tribunaux.
Dans cette affaire, l’identité des parties nous dit bien ce qui est en jeu. The American for Prosperity Foundation appartient à la constellation de groupes de façade collectant l’argent de l’ombre fondés par le milliardaire et magnat du secteur énergétique Charles Koch, et sa société affiliée Americans for Prosperity fournit la force de frappe politique nécessaire à l’opération. Le vaste éventail des amici venus en foule soutenir l’affaire avant que la Cour suprême n’accepte de l’entendre est encore plus instructif. Ces groupes se présentent généralement devant la Cour en flottes de combat bien organisées, mais la présence cette fois de plus de 60 groupes de façade liés à l’argent de l’ombre indique l’importance de ce qui se prépare.
At a time of escalating global turmoil, there is an urgent need for incisive, informed analysis of the issues and questions driving the news – just what PS has always provided.
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L’explication est à chercher au Congrès, où de puissantes sociétés profondément impliquées dans les opérations de collecte de l’argent de l’ombre commencent ouvertement à refuser de répondre aux questions concernant les financements qui bénéficient de cet argent de l’ombre. Pour ce faire, elles « plaident le Premier [Amendement] », en s’appuyant sur le droit jusqu’alors inconnu, prétendument garanti par le Premier Amendement, d’intervenir secrètement dans la vie politique en usant d’argent de l’ombre.
Ironie du sort, l’obligation de transparence pour les dépenses liées aux partis politiques fut établie par la Cour suprême à la faveur de l’arrêt Citizens United en 2010, qui ouvrait grand la porte aux dons colossaux à des organisations politiques. La Cour cependant n’a guère fait d’efforts pour que soient respectées ses exigences de transparence, et aujourd’hui, alors que sa balance politique penche à droite, de telles exigences de papier pourraient être réduites en lambeaux.
En 2010, le juge Clarence Thomas fut le seul qui rendit un avis opposé à la contrainte de publicité des dons. Mais trois nouveaux juges ont depuis lors été portés à la Cour par les forces de l’argent de l’ombre, et le juge Samuel Alito semble prêt à basculer du côté de ces mêmes forces. Ce qui rend possible un vote emporté par les cinq voix conservatrices en faveur d’une utilisation illimitée de l’argent de l’ombre. C’est du moins ce que doivent penser ceux qui se tiennent derrière les 60 amici.
Il est inutile de préciser que les groupes de pression qui ont bâti cette énorme machine d’influence autour du pouvoir judiciaire la protégeront quel qu’en soit le coût. Supprimer l’argent de l’ombre, ce serait supprimer cette machine, et sans machine, ç’en est fini de l’influence. C’est aussi simple que cela. Aujourd’hui, la Cour suprême – la Cour bâtie par l’argent de l’ombre – peut être l’instrument qui pérennisera à long terme la puissance de cet argent.
Nous sommes convaincus, en tant qu’élus, que l’arrêt Citizens United fut rendu à tort, et nous sommes profondément déçus que la Cour n’ait jamais fait respecter les propres termes de cet arrêt. L’obstruction et la corruption, largement répandues, dont nous avons été les témoins au Congrès, sont les conséquences de ces échecs, et nous croyons que ces problèmes sont des facteurs de l’insatisfaction de l’opinion envers le gouvernement.
Que la Cour accorde une protection constitutionnelle aux intrigues de l’argent de l’ombre ne ferait qu’empirer la situation. L’information des citoyens constitue l’un des rares moyens de contrôle qui puissent s’exercer sur le pouvoir ou l’influence dans le gouvernement. Refuser aux citoyens cette information sur ce qui se passe autour d’eux et dans leur gouvernement, c’est porter un coup fatal à la démocratie.
Cela conviendrait certainement aux forces autocratiques de l’argent de l’ombre qui ont déployé tant d’efforts et ont tant dépensé pour l’actuelle composition de la Cour suprême. C’est à la démocratie que s’opposent ces forces. Elles veulent le pouvoir pour des marionnettistes milliardaires agissant derrière le rideau créé par l’argent de l’ombre. Nous ne pouvons pas accepter qu’il en soit ainsi.
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Ukraine’s immense industrial and human resources once helped make the Soviet Union a global power, and Russian President Vladimir Putin is counting on them to achieve his neo-imperialist dream. With the US now behaving like a Kremlin proxy, supporting Ukraine has become an existential imperative for Europe.
warn that abandoning the country could hand Vladimir Putin the opportunity to restore Russia’s imperial status.
Donald Trump and J.D. Vance’s verbal assault on Ukrainian President Volodymyr Zelensky in the Oval Office was shocking but not surprising. As the Trump administration rapidly destroys America's credibility and international standing, Europe must mobilize its ample resources to replace America as a global leader.
says the Trump administration's Oval Office fight with Ukraine's president is a moment that will live in infamy.
WASHINGTON – Les groupes de pression de droite font le siège des tribunaux américains. Leur but : manipuler la magistrature fédérale pour privilégier les grands employeurs sur les salariés, les banques géantes sur les petites entreprises et les armuriers sur les victimes de la violence armée. Encore et encore, le programme politique poursuivi par la Federalist Society fait la loi aux dépens du citoyen. Cette organisation agit, plus qu’aucune autre, pour déplacer le plus possible vers la droite le pouvoir judiciaire fédéral. Si sa persévérance parvient aujourd’hui à ses fins dans un dossier qui a peu fait parler de lui, porté devant la Cour suprême, des intérêts occultes consolideront, pour les générations à venir, leur emprise sur le droit constitutionnel des États-Unis.
En tant que présidents des sous-comités sur les tribunaux du Sénat et de la Chambre, nous avons pu observer de près l’empiètement de l’argent de l’ombre sur le pouvoir judiciaire. Les discrets intérêts qui exercent cette influence ont dicté l’identité des trois derniers juges nommés à la Cour suprême, puis fait pression sur le Sénat pour qu’il confirme leur nomination, en dépensant notamment des millions de dollars pour des campagnes nationales de publicité à la radio et à la télévision (en faveur surtout du juge Brett Kavanaugh lorsque la procédure de confirmation s’est heurtée à des difficultés).
Ayant contribué à pourvoir la magistrature fédérale en juges favorables à leurs objectifs, des groupes de juristes financés par un même réseau, ont tour à tour constitué des dossiers susceptibles d’atterrir devant la Cour suprême, appuyés par toutes sortes d’informations, opinions et mémoires déposés chacun par un amicus curiae, en appui des cas soutenus. Ces mémoires émanant de personnes extérieures à la Cour constituent le dernier mouvement d’une œuvre orchestrale stratégiquement dirigée, en l’occurrence une opération d’envergure visant au contrôle de la jurisprudence.
L’argent de l’ombre est la clé de cette opération : à savoir des sommes dont les donateurs ne peuvent être identifiés. Des intérêts privés ont construit un vaste réseau de de groupes de façade collectant l’argent de l’ombre afin de s’assurer des fonctions essentielles au contrôle de la jurisprudence, du choix des juges qui seront nommés jusqu’à celui des cas qui leur seront soumis, à grands renforts d’actions de lobbying exprimées dans les mémoires déposés par les amici curiae (les « amis de la cour [ou du tribunal] »). Pour la seule période courant de 2014 à 2018, ce réseau a reçu, selon la récente déposition d’un expert devant le Sénat, 400 millions de dollars.
Malheureusement, c’est un fait, cette campagne financée par l’argent de l’ombre fonctionne. Avant même que la juge Amy Coney Barrette ne rejoigne la Cour suprême, dans les derniers jours de l’administration de Donald Trump, la majorité républicaine de cinq juges a accumulé une série de 80 victoires sur des affaires ayant donné lieu à des verdicts partisans (5 voix contre 4) en faveur des intérêts d’importants donateurs républicains. Mais la grande récompense pourrait provenir de l’affaire Americans for Prosperity contre Rodriquez, où la Cour serait en mesure d’arrêter qu’une élite donatrice de droite jouit d’un droit constitutionnel au secret lorsqu’elle utilise des groupes de façade pour influencer la vie politique ou le jugement des tribunaux.
Dans cette affaire, l’identité des parties nous dit bien ce qui est en jeu. The American for Prosperity Foundation appartient à la constellation de groupes de façade collectant l’argent de l’ombre fondés par le milliardaire et magnat du secteur énergétique Charles Koch, et sa société affiliée Americans for Prosperity fournit la force de frappe politique nécessaire à l’opération. Le vaste éventail des amici venus en foule soutenir l’affaire avant que la Cour suprême n’accepte de l’entendre est encore plus instructif. Ces groupes se présentent généralement devant la Cour en flottes de combat bien organisées, mais la présence cette fois de plus de 60 groupes de façade liés à l’argent de l’ombre indique l’importance de ce qui se prépare.
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Ironie du sort, l’obligation de transparence pour les dépenses liées aux partis politiques fut établie par la Cour suprême à la faveur de l’arrêt Citizens United en 2010, qui ouvrait grand la porte aux dons colossaux à des organisations politiques. La Cour cependant n’a guère fait d’efforts pour que soient respectées ses exigences de transparence, et aujourd’hui, alors que sa balance politique penche à droite, de telles exigences de papier pourraient être réduites en lambeaux.
En 2010, le juge Clarence Thomas fut le seul qui rendit un avis opposé à la contrainte de publicité des dons. Mais trois nouveaux juges ont depuis lors été portés à la Cour par les forces de l’argent de l’ombre, et le juge Samuel Alito semble prêt à basculer du côté de ces mêmes forces. Ce qui rend possible un vote emporté par les cinq voix conservatrices en faveur d’une utilisation illimitée de l’argent de l’ombre. C’est du moins ce que doivent penser ceux qui se tiennent derrière les 60 amici.
Il est inutile de préciser que les groupes de pression qui ont bâti cette énorme machine d’influence autour du pouvoir judiciaire la protégeront quel qu’en soit le coût. Supprimer l’argent de l’ombre, ce serait supprimer cette machine, et sans machine, ç’en est fini de l’influence. C’est aussi simple que cela. Aujourd’hui, la Cour suprême – la Cour bâtie par l’argent de l’ombre – peut être l’instrument qui pérennisera à long terme la puissance de cet argent.
Nous sommes convaincus, en tant qu’élus, que l’arrêt Citizens United fut rendu à tort, et nous sommes profondément déçus que la Cour n’ait jamais fait respecter les propres termes de cet arrêt. L’obstruction et la corruption, largement répandues, dont nous avons été les témoins au Congrès, sont les conséquences de ces échecs, et nous croyons que ces problèmes sont des facteurs de l’insatisfaction de l’opinion envers le gouvernement.
Que la Cour accorde une protection constitutionnelle aux intrigues de l’argent de l’ombre ne ferait qu’empirer la situation. L’information des citoyens constitue l’un des rares moyens de contrôle qui puissent s’exercer sur le pouvoir ou l’influence dans le gouvernement. Refuser aux citoyens cette information sur ce qui se passe autour d’eux et dans leur gouvernement, c’est porter un coup fatal à la démocratie.
Cela conviendrait certainement aux forces autocratiques de l’argent de l’ombre qui ont déployé tant d’efforts et ont tant dépensé pour l’actuelle composition de la Cour suprême. C’est à la démocratie que s’opposent ces forces. Elles veulent le pouvoir pour des marionnettistes milliardaires agissant derrière le rideau créé par l’argent de l’ombre. Nous ne pouvons pas accepter qu’il en soit ainsi.
Traduit de l’anglais par François Boisivon