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Pourquoi la politique économique de Biden ne satisfait pas les électeurs

STANFORD (CALIF.) – Il y a un fossé entre ce que le président des États-Unis, Joe Biden, et de nombreux économistes considèrent comme la réalité de l’économie américaine et l’expérience qu’en font les citoyens ordinaires. De fait, l’équipe Biden comprend mal qu’on ne lui fasse pas crédit de ce qu’elle pense être une économie en bonne santé (une santé qu’elle attribue aux politiques qu’elle a elle-même suivies).

Les électeurs associent pourtant les « Bidenomics » à l’inflation. Et plus des deux tiers considèrent que l’état de l’économie et de leurs finances personnelles est « médiocre » ou seulement « passable » ; ils sont encore plus nombreux à penser que leur situation était plus favorable durant le mandat du prédécesseur de Biden, Donald Trump, et que les politiques suivies par le premier ont fait plus de mal que de bien.

Comme Biden est assez loin derrière Trump dans les sondages portant sur les préoccupations principales des électeurs – l’économie, l’inflation et l’immigration illégale –, il tente de placer le débat sur les questions où il a l’avantage (l’avortement) et insiste sur le comportement erratique de Trump. Il est pourtant assez probable que l’opinion des électeurs sur l’économie décide de ce qui apparaît comme un combat serré pour la présidence et pour le contrôle de la Chambre des représentants, du Sénat et de certains États. La perception de la réalité ayant souvent un peu de retard sur les faits, Biden peut encore espérer que la situation économique ne se détériore pas, que l’inflation continue de baisser et que les souvenirs des mois d’inflation forte  s’estompent.

On peut aussi chercher des raisons à la divergence d’appréciation entre la Maison Blanche et l’électorat, et elles sont nombreuses : les données dont Biden s’attribue le mérite pourraient n’offrir de l’économie qu’un tableau incomplet ; les différents sous-groupes n’ont pas tous été touchés de la même manière par l’évolution de l’inflation et de l’emploi ; et des craintes de long terme afférentes à la situation économique pourraient assombrir l’humeur publique.

Si la croissance du PIB fut solide l’an dernier, la première estimation du taux de croissance à 1,6 % pour le premier trimestre de cette année marque un net ralentissement (quoique, là aussi, ce chiffre soit fondé sur des données incomplètes, surtout pour ce qui concerne les exportations nettes et les stocks). Non seulement la croissance ralentit, mais les électeurs se souviennent encore que l’inflation est montée, au début de la présidence Biden, à un niveau qu’elle n’avait pas enregistré depuis quarante ans, du fait, principalement, d’un déficit public financé par l’emprunt dans un contexte de quasi plein emploi.

Alors que la Maison Blanche (et la Réserve fédérale) affirmait que l’inflation était transitoire, les prix ont bel et bien augmenté sous la présidence Biden de 20 %. En outre, les dernières mesures de l’inflation sous-jacente (hors l’alimentation et l’énergie), juste en dessous de 4 %, enregistrent une légère hausse, alors que les indicateurs de la Fed montrent une inflation qui se situe encore à presque 3 %.

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Certes, les salaires ont atteint voici peu une croissance (à peine) supérieure à l’inflation, mais nombre de familles aux revenus faibles ont du mal à joindre les deux bouts et les défauts de paiement sur les cartes de crédit et sur les prêts pour l’achat d’un véhicule automobile augmentent.

Heureusement, la Fed maintient sa cible de taux d’intérêt – aujourd’hui à 5,25-5,5 % – sous le taux d’inflation. On ne saurait trop remercier Jerome Powell, son président, et ses collègues d’avoir résisté aux pressions politiques et refusé de baisser les taux faute de bases sérieuses leur permettant de conclure que l’inflation atteindra bientôt la cible fixée des 2 % – alors même que s’élèvent des voix téméraires pour réclamer une nouvelle cible de 4 %.

La croissance de l’emploi semble impressionnante, avec le premier chiffre rendu public pour le mois de mars, qui fait état de 303 000 emplois créés. Mais dans une économie où le chômage est à 3,8 % (un peu au-dessus de son niveau avant la pandémie), on est en droit de se demander combien de ces postes sont des emplois à temps partiel ou des petits boulots, auxquels sont contraints les ménages dont l’inflation amincit les budgets jusqu’au point de rupture.

Cette croissance de l’emploi qui défraie la chronique est calculée d’après une enquête auprès des entreprises qui comprend des données sur les heures travaillées et sur les salaires. On considère que cette enquête est plus fiable pour déterminer les niveaux d’emploi que l’enquête sur les ménages (60 000), elle-même privilégiée pour estimer le chômage et les taux d’activité.

L’une comme l’autre ont leurs qualités et leurs défauts, et elles ne couvrent pas les mêmes champs. L’enquête auprès des entreprises utilise un modèle « de vie et de mort » (les nouveaux établissements et ceux qui ferment), et elle est mal adaptée aux tournants du cycle économique. Sur les douze derniers mois disponibles jusqu’en mars 2024, elle peint un tableau optimiste, avec 2,9 millions d’emplois créés, alors que l’enquête auprès des ménages laisserait entendre que la croissance de l’emploi a été quatre fois moins forte.

Certains détails de l’enquête auprès des ménages pourraient permettre de mieux comprendre le retard de Biden dans les sondages, surtout auprès des groupes ayant largement voté en sa faveur en 2020. Le nombre d’hommes adultes dans l’emploi est globalement en légère baisse, mais il fait une chute de presque 250 000 parmi les hommes noirs, alors que le nombre de travailleurs à temps partiel augmente, quant à lui, de 1,7 million, ce qui indique une forte baisse des emplois à plein temps.

En outre la main-d’œuvre a diminué, par rapport à l’année dernière, d’un million de personnes parmi celles nées aux États-Unis, et augmenté de quelque 850 000 personnes parmi celles nées à l’extérieur (pour la plupart citoyens ou citoyennes américaines ou sinon légalement immigrées). Les raisons de ces tendances pourraient se trouver dans les départs à la retraite au sein de la main-d’œuvre née aux États-Unis, dans les contrats travail fournis aux migrants sans papiers, etc.

Si les États-Unis ont effectivement besoin de main-d’œuvre, ils n’en sont pas moins devenus un foyer d’attraction pour l’immigration illégale. Faute d’un système migratoire suffisamment solide, qui avantage la main-d’œuvre indispensable qualifiée et procède à des vérifications consciencieuses, des millions de candidats franchissent la frontière sud, notamment parce que l’administration Biden refuse de faire le nécessaire pour la surveiller. Ce flux de migrants est devenu une question politique de premier plan, qui déchire le pays et submerge les services publics, non seulement dans les États frontaliers, mais aussi dans les villes du Nord.

Pour comparaison, remarquons que le niveau actuel (par habitant) d’immigration illégale aux États-Unis est, selon certaines estimations, cinq fois supérieur à l’afflux de réfugiés et de migrants que la chancelière Angela Merkel avait accueillis en Allemagne, par conséquent en Europe, en 2015-2016 – une décision fatidique, qui a conduit à la réaction populiste dont presque toute l’Europe souffre encore aujourd’hui.  

Enfin, les Américains se montrent pessimistes sur l’avenir à long terme et sur leur capacité à décider de leur propre vie. Entre les guerres qui font rage en Ukraine et à Gaza, les tensions croissantes avec la Chine, l’incertitude technologique et l’instabilité du marché du travail, la hausse de la criminalité, la crise de l’immigration, les exigences épuisantes du moralisme woke dans toutes les sphères de la société, les électeurs ont toutes sortes de raisons pour se sentir mal à l’aise.

Ces perceptions, à quoi l’on peut ajouter les quatre-vingt-un ans de Joe Biden et les évidentes faiblesses physiques et mentales qui les accompagnent (Trump a soixante-dix-sept ans, mais il montre beaucoup plus d’énergie) s’associent pour donner au président la cote d’approbation la plus basse qu’ait connu depuis la Seconde Guerre mondiale un président sortant dans à ce moment de la campagne. C’est pourquoi Trump, malgré ses ennuis juridiques et sa personnalité clivante, maintient une légère avance dans les sept États clés qui décideront de l’élection.

Traduit de l’anglais par François Boisivon

Michael J. Boskin, professeur d’économie à l’université Stanford et directeur de recherche à la Hoover Institution, a présidé le Council of Economics Advisers du président H. W. Bush de 1989 à 1993.

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