eichengreen199_JuSunGetty Images_dollar JuSun/Getty Images

Trump peut-il se débarrasser du dollar ?

BERKELEY – L'une des idées politiques les plus étonnantes qui gagnent du terrain aux États-Unis ces derniers temps est que le président élu Donald Trump et son équipe, dès leur entrée en fonctions, fassent activement baisser le dollar dans le but de stimuler la compétitivité des exportations américaines et de réduire le déficit commercial. Si Trump essaie, réussira-t-il ? Et que pourrait-il se passer – et se passerait-il probablement – de mal ?

À la question de savoir si Trump pourrait affaiblir le dollar, la réponse est clairement oui. Savoir si cela améliorerait la compétitivité des exportations américaines et renforcerait la balance commerciale des États-Unis est une autre question.

La méthode de force brute pour faire baisser le dollar consisterait à s'appuyer sur la Réserve fédérale pour assouplir la politique monétaire. Trump pourrait remplacer le président de la Fed, Jerome Powell, et pousser le Congrès à modifier la loi sur la Réserve fédérale pour obliger la banque centrale à recevoir des ordres de l'exécutif. Le taux de change du dollar s'affaiblirait considérablement, le but recherché.

Cependant, la Fed ne se laisserait pas faire sans réagir. La politique monétaire est élaborée par les douze membres du Comité fédéral de l'open market (FOMC), et pas seulement par son président. Les marchés financiers, et même un Congrès pourtant complice, considéreraient l'abrogation de l'indépendance de la Fed ou le fait de remplir le FOMC de membres complaisants comme une mission impossible.

Et même si Trump parvenait à "dompter" la Fed, une politique monétaire plus souple entraînerait une accélération de l'inflation, ce qui neutraliserait l'impact de la baisse du taux de change du dollar. Il n'y aurait aucune amélioration de la compétitivité américaine ou de la balance commerciale.

Par ailleurs, le département du Trésor pourrait utiliser l'International Emergency Economic Powers Act pour taxer les détenteurs officiels étrangers de titres du Trésor, en retenant une partie de leurs paiements d'intérêts. Les banques centrales seraient ainsi moins tentées d'accumuler des réserves en dollars, ce qui ferait baisser la demande de billets verts. Cette politique pourrait être universelle, ou bien les amis et alliés des États-Unis, ainsi que les pays qui limitent docilement leur accumulation de réserves en dollars, pourraient en être exemptés.

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Le problème de cette approche de l'affaiblissement du dollar est que réduire la demande de bons du Trésor américain ferait grimper les taux d'intérêt. Cette mesure radicale pourrait en effet diminuer la demande de bons du Trésor de façon spectaculaire. Les investisseurs étrangers pourraient être amenés non seulement à ralentir leur accumulation de dollars, mais aussi à liquider entièrement leurs avoirs existants. Et tandis que Trump pourrait tenter de dissuader les gouvernements et les banques centrales de liquider leurs réserves en dollars en les menaçant de tarifs douaniers, une part substantielle de la dette publique américaine détenue à l'étranger – de l'ordre d'un tiers – est détenue par des investisseurs privés, qui ne sont pas facilement influencés par les tarifs douaniers.

Plus classiquement, le Trésor pourrait utiliser les dollars de son Fonds de stabilisation des changes pour acheter des devises étrangères. Cependant, augmenter l'offre de dollars de cette manière serait inflationniste. La Fed réagirait en retirant ces mêmes dollars des marchés, et stériliserait ainsi l'impact de l'action du Trésor sur la masse monétaire.

L'expérience a montré que "l'intervention stérilisée", comme on appelle cette opération combinée du Trésor et de la Fed, a des effets très limités. Ces derniers ne deviennent prononcés que lorsque l'intervention signale un changement de politique monétaire, en l'occurrence dans une direction plus expansionniste. Étant donné sa fidélité à son objectif d'inflation de 2 %, la Fed n'aurait aucune raison de s'engager dans une direction plus expansionniste - à condition que son indépendance soit maintenue.

Enfin, il est question d'un accord à Mar-a-Lago, un accord entre les États-Unis, la zone euro et la Chine, faisant écho à l'accord historiquedu Plaza, pour s'engager dans des ajustements politiques coordonnés afin d'affaiblir le dollar. Les mesures complémentaires prises par la Fed, la Banque centrale européenne et la Banque populaire de Chine augmenteraient les taux d'intérêt. Les gouvernements chinois et européens pourraient également intervenir sur le marché des changes, en vendant des dollars pour renforcer leurs monnaies respectives. Trump pourrait invoquer les droits de douane comme levier, tout comme Richard Nixon a utilisé une surtaxe à l'importation pour contraindre d'autres pays à réévaluer leur monnaie par rapport au dollar en 1971, ou comme le secrétaire au Trésor James Baker a invoqué la menace du protectionnisme américain pour sceller l'accord du Plaza en 1985.

En 1971, cependant, la croissance en Europe et au Japon était forte, de sorte que leur réévaluation ne posait pas de problème. En 1985, c'est l'inflation, et non la déflation, qui constituait le danger immédiat, prédisposant l'Europe et le Japon à un resserrement monétaire. En revanche, la zone euro et la Chine sont actuellement confrontées au double spectre de la stagnation et de la déflation. Elles devraient mettre en balance le danger d'un resserrement monétaire pour leurs économies et les dommages causés par les droits de douane de Trump.

Face à ce dilemme, l'Europe céderait probablement, et accepterait une politique monétaire plus stricte comme prix à payer pour faire reculer les droits de douane de Trump et préserver la coopération avec les États-Unis en matière de sécurité. La Chine, qui considère les États-Unis comme un rival géopolitique et cherche à se découpler, prendrait probablement la direction opposée.

Ainsi, un supposé accord de Mar-a-Lago dégénérerait en un accord bilatéral américano-européen qui ferait peu de bien aux États-Unis tout en causant un tort considérable à l'Europe.

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