d26e5a0346f86f100fe1db01_pa2986c.jpg Paul Lachine

Grandeur et décadence du Poutinisme

MOSCOU – Comment ce mélange spécifiquement russe d’autoritarisme et d’économie dirigiste – autrement dit le « Poutinisme » – est-il survenu ?  ? Et maintenant qu’il existe, comment les Russes peuvent-ils le surmonter pour avoir accès aux droits et aux libertés qui leurs sont garantis par la Constitution du pays ? 

Une société civile russe active, qui avait semblé sortir de nulle part dans l’Union Soviétique de 1989-1990 de Mikhaïl Gorbatchev, après la longue hibernation soviétique, a régressé bien trop rapidement. Les extraordinaires difficultés de la survie au quotidien suite à l’effondrement de l’URSS ont obligé la plupart des Russes à ne se préoccuper que des besoins les plus urgents. L’apathie civique s’installât.

Puis Vladimir Poutine est arrivé au pouvoir, à un moment bien pratique pour n’importe quel dirigeant – lorsque le peuple est passif. Astucieusement, Poutine a alors lié cette apathie aux premiers émois de la croissance économique post-soviétique de manière à conclure un nouvel ordre social : il élèverait les niveaux de vie en échange de l’acception par les Russes ordinaires d’imposantes limitations de leurs droits et de leurs libertés constitutionnels.

Jusqu’à récemment, les deux parties avaient chacune respecté leur part de ce contrat tacite. Mais avec la crise financière internationale, le Kremlin ne respecte plus la sienne. Il faut donc un nouveau contrat social, surtout compte tenu de l’arrivée d’une nouvelle génération de Russes post-soviétiques dans la vie politique – une génération qui n’a pas été empoisonnée par cette crainte implantée chez leurs aïeux par des décennies de terreur soviétique.

Poutine et son entourage ont depuis dix ans « resserré l’étau » sur le peuple russe, sans qu’aucune réelle résistance ne se soit opposée à leur pouvoir incontrôlé. Aujourd’hui, parmi l’ensemble de tous les droits civiques et politiques contenus dans la Constitution russe, il ne nous reste à nous, Russes, qu’un seul droit : celui d’entrer et de sortir librement du pays. Tous les autres droits ont été perdus ou considérablement affaiblis.

Mais les citoyens Russes, surtout les plus jeunes, commencent à prendre conscience de ce qu’ils ont perdu. De même, la génération post soviétique a une idée très différente de celle de leurs parents de ce qu’est un niveau de vie moyen décent, et leurs aspirations sont donc beaucoup plus fortes.

SUMMER SALE: Save 40% on all new Digital or Digital Plus subscriptions
PS_Sales_Summer_1333x1000_V1

SUMMER SALE: Save 40% on all new Digital or Digital Plus subscriptions

Subscribe now to gain greater access to Project Syndicate – including every commentary and our entire On Point suite of subscriber-exclusive content – starting at just $49.99

Subscribe Now

Beaucoup d’entres eux ont voyagé et tous ont vu des films étrangers, grâce auxquels ils ont pu constater que des personnes de statut social similaire en Occident ont une vie bien plus confortable que la leur. La grande majorité du peuple soviétique n’avait pas de voiture ni de maison de campagne, ni même d’appartement séparé. Les jeunes se sentent aujourd’hui démunis lorsqu’ils ne peuvent avoir tout cela.

Dans un premier temps, les Russes ne pensaient pas aux droits civiques lorsqu’ils se battaient pour obtenir ce type de confort jusque là inconnu. Ils ont laissé le soin au Kremlin d’établir les conditions qui leur permettraient d’obtenir de nouvelles opportunités. Maintenant, ils commencent à comprendre que le gouvernement les a trompé.

Les premiers signes du combat pour la restitution des droits constitutionnels en Russie furent perçus en 2009. Sur la place du Triomphe à Moscou, des manifestants ont demandé à plusieurs reprises que soit respecté l’Article 31 garantissant le droit au rassemblement pacifique. Stratégie-31, un regroupement de divers groupes de contestataires aux idées similaires, a rapidement pris de l’ampleur et a organisé des manifestations simultanées à Moscou et dans 48 autres villes il y a deux mois pour soutenir ce droit à la liberté de réunion. Des manifestations simultanées ont déjà eu lieu par le passé, mais habituellement contre la hausse des loyers ou des charges.  

On peut comprendre pourquoi cette revendication pour le respect de l’Article 31 a gagné en popularité. Pour le citoyen ordinaire, qui n’a aucun accès aux médias ni de contacts personnels avec les autorités, les manifestations sont une occasion de faire connaître leurs revendications, leurs requêtes et leurs suggestions aux responsables.

Il y a aussi d’autres signes de réveil de la conscience civique, particulièrement visibles dans les discussions sur internet ; des discussions que le Kremlin ne peut contrôler comme il contrôle les autres médias russes. Les citoyens ont commencé à utiliser l’internet pour s’organiser, par exemple, pour coordonner des foules éclair (flash mobs) simultanées, ainsi que des manifestations par des propriétaires de voitures, dans différentes villes.

Plus récemment, l’internet est devenu un moyen public de vigilance des violations des droits de l’homme par les autorités puisque les photos prises à partir des téléphones portables peuvent être diffusées et disponibles instantanément pour tous. Les autorités doivent en accepter les conséquences et punir les responsables qui se sont ainsi retrouvés dans la lumière des flashs.

Le gouvernement fédéral russe et les autorités régionales sont extrêmement inquiets de la montée si rapide de l’activisme civique. Malgré tout et en dépit des évolutions, ils répondent avec les mêmes vieilles méthodes – répression, intimidation et désinformation. Et avec des élections à la Douma prévues en décembre 2011, suivies par les élections présidentielles en mars 2012, les responsables politiques sont particulièrement soucieux d’une explosion de l’activisme civique.

Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi. Au cours de la dernière décennie, le système électoral a été « amélioré » de telle manière à ce qu’aucun résultat ne puisse entrainer de changement dans le gouvernement fédéral. Les manifestations de rue et autres formes d’activisme civique sont donc les seuls moyens laissés à ceux qui contestent les porte-drapeaux du Poutinisme. Et compte tenu de la main mise de l’état sur les média généralistes, ce genre d’activisme pourrait bien être en effet la seule façon de savoir ce que pensent vraiment les citoyens de leurs gouvernants.

https://prosyn.org/Rua3eAWfr