ABUJA – Depuis un mois que la milice islamiste Boko Haram a enlevé plus de 200 lycéennes dans la région de Chibok dans l'État de Borno au Nigeria, les autorités ont gardé un étonnant silence. Les citoyens nigérians désemparés ont créé dans ce but sur Twitter le hashtag #BringBackOurGirls, dans l'espoir que cette simple demande pousse leur gouvernement à agir. Dans un pays où les citoyens ont peu d'options pour demander des comptes à leur gouvernement, « l'activisme hashtag » peut-il faire la différence ?
La réponse du gouvernement nigérian s'est illustrée par sa maladresse. Tout d'abord, l'armée a fait un communiqué selon lequel les lycéennes avaient été libérées, puis s'est rétractée quand ce communiqué s'est révélé faux, ce qui a contribué aggraver l'indignation de l'opinion publique. Le récit des médias a rapidement échappé au contrôle du gouvernement, qui a été contraint d'essayer de limiter les dégâts, au moment où le pays se préparait à accueillir le Forum Économique Mondial sur l'Afrique à Abuja, la capitale du Nigéria.
Il est important de signaler que ce n'est pas la première fois que Boko Haram enlève des jeunes filles ou tue des enfants. Les détails sur les meurtres de 43 élèves du Collège du gouvernement fédéral de Buni Yadi et de 78 autres au Collège agricole de Gujba ont été rendus publics. En outre, les récits de violences sexuelles à l'encontre de jeunes filles abondent. Même après le dernier enlèvement de masse, huit autres jeunes filles ont été enlevées dans la région de Gwoza de l'État de Borno, voisin de Chibok.
Tous ces récits suscitent l'horreur et le désespoir chez la plupart des Nigérians. Mais ils ne provoquent pas grand'chose et ne vont probablement rien déclencher du tout. Après tout, la sécurité des citoyens relève de la responsabilité de l'État. Le fait que des parents de Chibok et d'autres membres de groupes d'auto-défense se soient sentis obligés de pénétrer dans la forêt de Sambisa armés de bâtons et de machettes après les enlèvements, ne peut qu'être tenu que comme un échec pour un gouvernement qui ne remplit pas ses fonctions.
Alors que les 56 millions de Nigérians sur les médias sociaux représentent moins de la moitié de la population du pays, ils ont réussi à provoquer un débat mondial et à attirer l'attention internationale. A ce titre, l'importance de ce groupe ne peut plus être balayée d'un simple revers de main.
At a time of escalating global turmoil, there is an urgent need for incisive, informed analysis of the issues and questions driving the news – just what PS has always provided.
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Il va de soi que l'activité sur Internet des Nigérians n'est pas toujours un bon indicateur de l'humeur nationale. Par exemple, le projet de loi anti-homosexualité promulgué l'année dernière était beaucoup plus suivi hors réseau que sur Internet. La colère suscitée par la vidéo d'une jeune femme violée en réunion a été en revanche bien plus perceptible en ligne, où est apparu le hashtag Twitter #ABSURape, que dans les médias traditionnels.
Néanmoins les efforts des plus déterminés des citoyens pour demander des comptes à leur gouvernement ont suivi de vifs débats, animés par une masse critique de Nigérians en ligne. Par exemple, la décision de supprimer une subvention sur le carburant, qui a provoqué une forte augmentation des prix du pétrole, a déclenché des débats en ligne consultables sur le hashtag #OccupyNigeria. Ces débats ont exercé une influence hors ligne dans des manifestations qui ont eu lieu dans certaines grandes villes nigérianes.
De même, le hashtag #Aluu4, apparu suite au lynchage de quatre jeunes hommes pris pour des voleurs à proximité de l'Université de Port Harcourt, a attiré l'attention des médias sur la violence collective au Nigéria. Et les protestations de #ChildNotBride ont contraint l'Assemblée nationale à défendre sa décision de ne pas supprimer l'article 29.4 (b) de la constitution, qui stipule que toute femme mariée quel que soit son âge est considérée comme une adulte, ce qui permet à son mari de la contraindre à renoncer à ses droits à la citoyenneté nigériane.
De même, la campagne #BringBackOurGirls a commencé en ligne après le discours de la Journée Mondiale du Livre par le célèbre dramaturge nigérian Wole Soyinka, dans lequel il a demandé à Jonathan de « ramener les élèves. » Les expressions d'indignation en ligne de Nigérians se sont rapidement traduites en action organisée hors ligne, dirigée par l'ancien ministre du gouvernement Oby Ezekwesili (qui a également pris la parole à l'occasion de la Journée Mondiale du Livre) et par des leaders de la société civile, dont l'avocate Maryam Uwais et Hadiza Bala Usman. Les protestations se sont propagées à travers le Nigeria, ainsi que dans les pays comptant d'importantes diasporas nigérianes, comme aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Afrique du Sud et au Canada.
Les médias internationaux ont accordé une attention soutenue dans des reportages sur les manifestations et les sit-ins. Le défi de sécurité auquel fait face le Nigéria a été au cœur des débats lors de la récente réunion du Forum Économique Mondial à Abuja, où l'envoyé spécial des Nations Unies pour l'éducation mondiale, l'ancien Premier ministre britannique Gordon Brown, a inauguré la Safe Schools Initiative (Projet d'écoles sans danger).
Bien plus significatif que le simple appel angoissé de la population concernée, la campagne locale de médias sociaux qui entoure #BringBackOurGirls fait partie d'une prise de conscience par les Nigérians de la nécessité de demander des comptes à leur gouvernement. Comme les élections présidentielles et législatives de février 2015 approchent, les questions les plus importantes porteront sur ce que vont faire les Nigérians de cet éveil de leur conscience politique. Elles vont aussi permettre de savoir s'ils sont prêts pour un nouveau type de leadership, capable de construire le pays qu'ils souhaitent et qu'ils méritent. Pour entrer dans une nouvelle ère porteuse de plus d'espoir, les Nigérians vont devoir se prouver à eux-mêmes qu'ils sont dignes de leur citoyenneté.
Saratu Abiola, écrivain et un blogueur, vit à Abuja au Nigéria.
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By choosing to side with the aggressor in the Ukraine war, President Donald Trump’s administration has effectively driven the final nail into the coffin of US global leadership. Unless Europe fills the void – first and foremost by supporting Ukraine – it faces the prospect of more chaos and conflict in the years to come.
For most of human history, economic scarcity was a constant – the condition that had to be escaped, mitigated, or rationalized. Why, then, is scarcity's opposite regarded as a problem?
asks why the absence of economic scarcity is viewed as a problem rather than a cause for celebration.
ABUJA – Depuis un mois que la milice islamiste Boko Haram a enlevé plus de 200 lycéennes dans la région de Chibok dans l'État de Borno au Nigeria, les autorités ont gardé un étonnant silence. Les citoyens nigérians désemparés ont créé dans ce but sur Twitter le hashtag #BringBackOurGirls, dans l'espoir que cette simple demande pousse leur gouvernement à agir. Dans un pays où les citoyens ont peu d'options pour demander des comptes à leur gouvernement, « l'activisme hashtag » peut-il faire la différence ?
La réponse du gouvernement nigérian s'est illustrée par sa maladresse. Tout d'abord, l'armée a fait un communiqué selon lequel les lycéennes avaient été libérées, puis s'est rétractée quand ce communiqué s'est révélé faux, ce qui a contribué aggraver l'indignation de l'opinion publique. Le récit des médias a rapidement échappé au contrôle du gouvernement, qui a été contraint d'essayer de limiter les dégâts, au moment où le pays se préparait à accueillir le Forum Économique Mondial sur l'Afrique à Abuja, la capitale du Nigéria.
Bien que le gouvernement ait insisté sur le fait qu'il pouvait gérer lui-même le groupe Boko Haram, il a accepté l'aide d'autres gouvernements, notamment des États-Unis, dont l'armée a déjà envoyé des experts d'assistance technique aux forces de sécurité nigérianes. L'épouse du président Goodluck Jonathan a déclaré qu'elle souhaitait se rendre elle-même dans la forêt redoutée de Sambisa, en accusant les contestataires de la communauté de Chibok d'être affiliés au groupe Boko Haram. Et la ministre des Finances Ngozi Okonjo-Iweala, qui avait d'abord adressé des témoignages de sympathie en faveur des jeunes filles enlevées, a fini par déclarer sèchement dans une interview qu'elle était fatiguée de répondre aux questions sur cette affaire.
Il est important de signaler que ce n'est pas la première fois que Boko Haram enlève des jeunes filles ou tue des enfants. Les détails sur les meurtres de 43 élèves du Collège du gouvernement fédéral de Buni Yadi et de 78 autres au Collège agricole de Gujba ont été rendus publics. En outre, les récits de violences sexuelles à l'encontre de jeunes filles abondent. Même après le dernier enlèvement de masse, huit autres jeunes filles ont été enlevées dans la région de Gwoza de l'État de Borno, voisin de Chibok.
Tous ces récits suscitent l'horreur et le désespoir chez la plupart des Nigérians. Mais ils ne provoquent pas grand'chose et ne vont probablement rien déclencher du tout. Après tout, la sécurité des citoyens relève de la responsabilité de l'État. Le fait que des parents de Chibok et d'autres membres de groupes d'auto-défense se soient sentis obligés de pénétrer dans la forêt de Sambisa armés de bâtons et de machettes après les enlèvements, ne peut qu'être tenu que comme un échec pour un gouvernement qui ne remplit pas ses fonctions.
Alors que les 56 millions de Nigérians sur les médias sociaux représentent moins de la moitié de la population du pays, ils ont réussi à provoquer un débat mondial et à attirer l'attention internationale. A ce titre, l'importance de ce groupe ne peut plus être balayée d'un simple revers de main.
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Il va de soi que l'activité sur Internet des Nigérians n'est pas toujours un bon indicateur de l'humeur nationale. Par exemple, le projet de loi anti-homosexualité promulgué l'année dernière était beaucoup plus suivi hors réseau que sur Internet. La colère suscitée par la vidéo d'une jeune femme violée en réunion a été en revanche bien plus perceptible en ligne, où est apparu le hashtag Twitter #ABSURape, que dans les médias traditionnels.
Néanmoins les efforts des plus déterminés des citoyens pour demander des comptes à leur gouvernement ont suivi de vifs débats, animés par une masse critique de Nigérians en ligne. Par exemple, la décision de supprimer une subvention sur le carburant, qui a provoqué une forte augmentation des prix du pétrole, a déclenché des débats en ligne consultables sur le hashtag #OccupyNigeria. Ces débats ont exercé une influence hors ligne dans des manifestations qui ont eu lieu dans certaines grandes villes nigérianes.
De même, le hashtag #Aluu4, apparu suite au lynchage de quatre jeunes hommes pris pour des voleurs à proximité de l'Université de Port Harcourt, a attiré l'attention des médias sur la violence collective au Nigéria. Et les protestations de #ChildNotBride ont contraint l'Assemblée nationale à défendre sa décision de ne pas supprimer l'article 29.4 (b) de la constitution, qui stipule que toute femme mariée quel que soit son âge est considérée comme une adulte, ce qui permet à son mari de la contraindre à renoncer à ses droits à la citoyenneté nigériane.
De même, la campagne #BringBackOurGirls a commencé en ligne après le discours de la Journée Mondiale du Livre par le célèbre dramaturge nigérian Wole Soyinka, dans lequel il a demandé à Jonathan de « ramener les élèves. » Les expressions d'indignation en ligne de Nigérians se sont rapidement traduites en action organisée hors ligne, dirigée par l'ancien ministre du gouvernement Oby Ezekwesili (qui a également pris la parole à l'occasion de la Journée Mondiale du Livre) et par des leaders de la société civile, dont l'avocate Maryam Uwais et Hadiza Bala Usman. Les protestations se sont propagées à travers le Nigeria, ainsi que dans les pays comptant d'importantes diasporas nigérianes, comme aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Afrique du Sud et au Canada.
Les médias internationaux ont accordé une attention soutenue dans des reportages sur les manifestations et les sit-ins. Le défi de sécurité auquel fait face le Nigéria a été au cœur des débats lors de la récente réunion du Forum Économique Mondial à Abuja, où l'envoyé spécial des Nations Unies pour l'éducation mondiale, l'ancien Premier ministre britannique Gordon Brown, a inauguré la Safe Schools Initiative (Projet d'écoles sans danger).
Bien plus significatif que le simple appel angoissé de la population concernée, la campagne locale de médias sociaux qui entoure #BringBackOurGirls fait partie d'une prise de conscience par les Nigérians de la nécessité de demander des comptes à leur gouvernement. Comme les élections présidentielles et législatives de février 2015 approchent, les questions les plus importantes porteront sur ce que vont faire les Nigérians de cet éveil de leur conscience politique. Elles vont aussi permettre de savoir s'ils sont prêts pour un nouveau type de leadership, capable de construire le pays qu'ils souhaitent et qu'ils méritent. Pour entrer dans une nouvelle ère porteuse de plus d'espoir, les Nigérians vont devoir se prouver à eux-mêmes qu'ils sont dignes de leur citoyenneté.
Saratu Abiola, écrivain et un blogueur, vit à Abuja au Nigéria.