Redonner sa juste place à l’Europe

EMBARGO : PUBLIABLE LE 1er OCTOBRE

À moins d’un revirement de dernière minute, les chefs d’États européens approuveront formellement ce mois-ci un nouvel accord destiné à consolider le fonctionnement de la politique étrangère de l’Union européenne, en renforçant le rôle de son Haut Représentant. Cette évolution n’a que trop tardé.

Aujourd’hui, le budget du Haut Représentant est inférieur au budget du nettoyage des bureaux de la Commission européenne à Bruxelles. Avec quelques 500 employés et une poignée de représentants à l’étranger, l’appareil diplomatique censé incarner la volonté collective des 27 États membres de l’UE dispose de moins de personnel et de ressources que la plupart des petits pays africains.

Cette situation devrait changer avec la nomination d’un nouveau chef de la politique étrangère, chargé de superviser les politiques de commerce extérieur, de défense et d’aides au développement. Mais cette innovation institutionnelle bienvenue ne répond pas à une question plus fondamentale : l’Europe veut-elle vraiment mener une politique étrangère volontaire et cohérente ?

Trop souvent, les dirigeants européens éludent cette question et offrent un commentaire courrant sur les défauts de la politique étrangère américaine au lieu d’avancer leurs propres stratégies. Cas après cas – de l’Irak au conflit israélo-palestinien à l’Afghanistan – la politique européenne ne s’est définie qu’en fonction de ce que les Etats-Unis faisaient ou ne faisaient pas. Mais l’année prochaine, les électeurs américains choisiront un nouveau président, et les Européens ne pourront plus se permettre d’incriminer les errements de George W. Bush pour tous les malheurs du monde.

Il y a tout lieu de s’en réjouir parce que l’Europe a beaucoup à offrir. Contrairement à d’autres super puissances au cours de l’histoire, elle ne fait pas sentir son pouvoir en menaçant d’envahir d’autres pays. Avec une population de 500 millions de personnes, l’Union européenne se place en troisième position, après la Chine et l’Inde. Ses 27 États membres représentent un quart de la production économique mondiale. L’UE est le premier importateur de biens en provenance des pays en développement et de loin le principal donateur d’aides au développement. Ces données attestent du poids géopolitique de l’UE.

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L’élargissement de l’Union européenne à l’Est a représenté le plus important changement pacifique de régime de l’histoire. La création du Tribunal pénal international et le Protocole de Kyoto ont montré que l’Europe pouvait faire avancer l’ordre du jour en faveur d’une gouvernance multilatérale. La participation de l’Europe a largement contribué au processus de paix dans la province indonésienne d’Aceh et au bon déroulement des récentes élections présidentielles au Congo.

Mais le pouvoir potentiel de l’Europe a trop souvent été affaibli par l’introversion et les divisions. Même dans le cas du programme nucléaire iranien, un processus politique adéquat a été neutralisé par l’incapacité de l’Europe à accompagner sa diplomatie de sanctions sévères. Si les Européens ne sont pas prêts à payer le prix de leur politique au plan économique, ils ne seront guère crédibles lorsqu’ils demanderont aux Etats-Unis de ne pas avoir recours à des frappes militaires contre l’Iran.

Dans le cas de la Russie, l’Union européenne sous-estime systématiquement sa propre force et surestime le pouvoir du président Poutine, permettant ainsi à la Russie de se montrer de plus en plus belliqueuse. Certains États membres voient la fédération de Russie comme une menace devant être contenue par la persuasion. D’autres préfèrent le concept « d’intégration furtive » pour entraîner la Russie dans la sphère politique européenne. Cette approche divergente permet à la Russie de cibler individuellement des États membres en signant avec eux des contrats énergétiques à long terme et de saper la position de l’UE sur des questions comme l’avenir du Kosovo ou la prolifération nucléaire.

Même si les dirigeants de l’UE aiment à parler d’un « multilatéralisme efficace », ils ne défendent pas très efficacement leurs valeurs ou intérêts dans des institutions multilatérales comme les Nations unies. Que ce soit à propos du Kosovo, du Darfour et de l’Iran, si les pays européens ne parviennent pas à unifier leur position et à s’y tenir, ils courent le risque d’être battu en brèche alors qu’ils devraient montrer la voie. L’Union européenne dispose après tout de quatre sièges au Conseil de sécurité et contribue à hauteur de 40 pour cent au budget de l’ONU. Mais quand il s’agit de voter sur des questions comme les droits de l’homme, trop de pays en développement ont tendance à l’oublier et à s’aligner avec la Chine contre l’UE.

Bien que les échecs de l’UE soient principalement d’ordre stratégique, il existe également des barrières institutionnelles à l’influence de l’Europe dans le monde. Les questions de défense par exemple, qui sont toujours du ressort des nations, tendent à porter sur des projets en interne aux dépens du développement d’un pouvoir tactique européen. Comme Chris Patten, l’ancien commissaire européen pour les relations extérieures, aime à le faire remarquer, nous saurons que l’Europe se sera donné les moyens de sa défense quand il ne sera plus nécessaire de louer des avions de transport à l’Ukraine.

Contrairement au rejet du projet de constitution européenne, les dirigeants européens ne peuvent pas rendre une opinion publique hostile responsable du manque de coopération en politique étrangère. Une récente étude menée par le Fonds Marshall allemand indique que 88 pour cent des sondés européens souhaitent que l’UE assume davantage de responsabilités dans la réponse aux menaces globales.

Dans la perspective du prochain accord sur le fonctionnement de la politique étrangère, il est grand temps que l’Union européenne mette en place une politique étrangère et de sécurité commune qui utilise tous les leviers du pouvoir européen pour affirmer ses valeurs et ses intérêts dans le monde.

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