8f1a9d0346f86fd413d99726_dr2445c.jpg Dean Rohrer

Le Sénégal peut-il réussir?

DAKAR – Le peuple sénégalais est profondément déçu. En 2000, il s’était déplacé aux urnes avec enthousiasme pour élire son président Abdoulaye Wade. Tout au long de sa campagne, Wade s’était présenté comme le vecteur du changement, mais le changement n’est jamais venu au Sénégal durant ses dix années au pouvoir. Aujourd’hui, la seule chose qu’il veut modifier est la constitution, de manière à pouvoir garder la main sur le pouvoir.

Wade s’est malheureusement avéré être une sorte de caricature d’un potentat africain somnolent pour lequel plus de distinction n’existe entre pouvoir, népotisme, et malversation. L’identification de ses propres intérêts et de ceux de sa famille à ceux de l’état est telle qu’il a nommé son fils, Karim Wade, à la tête de quatre ministères différents – la coopération internationale, le trafic aérien, l’infrastructure et l’énergie – simultanément.

Pour s’assurer de la succession du jeune Wade, le président de 86 ans a tiré toutes les ficelles à sa disposition. Il a mis en scène une séance photo avec son héritier désigné et Barack Obama lors de la réunion du G8 à Deauville plus tôt cette année, puis un voyage à Benghazi – le déplacement s’est fait sous l’escorte des Mirages français – afin de houspiller le  Colonel Mouammar Kadhafi. Ce faisant, Wade s’est désolidarisé du reste de l’Union Africaine, avec l’espoir naïf que Français et Occidentaux soutiendraient sa volonté de rester au pouvoir.

Puis il a rapidement déclenché le projet de modification de la constitution, que les Sénégalais perçoivent comme une volonté de consacrer dans les textes la victoire de son fils aux élections présidentielles de 2012. Des milliers de manifestants se sont massés en signe de protestation devant l’Assemblée Nationale en juin et l’amendement a depuis été retiré.

Les insuffisances de Wade ont aussi impacté l’économie du pays. La croissance annuelle de 1,2% dans le secteur agricole, qui emploie 60% de la population, ne suffit pas à pourvoir à une population qui se développe à plus de deux fois ce rythme. Et cette performance pathétique se produit à un moment où le secteur agricole de nombreuses économies africaines profite des prix élevés des produits alimentaires dans le monde.

Le Sénégal de Wade n’est parvenu à irriguer que 15% des 250 000 hectares prévus initialement, et importe désormais quelques 80% du riz consommé. Les ressources de la pêche sont surexploitées ; l’élevage souffre du même manque de gestion rigoureuse ; et le pays dépense une fortune en achats de viande et de lait qu’il pourrait facilement produire lui-même si les agriculteurs se voyaient proposer des incitations adéquates.

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Ce ne sont que quelques exemples de l’ampleur du mauvais usage des ressources du pays résultant du penchant marqué des élites sénégalaises à préférer accorder des licences d’importation dans le seul but de développer leurs fortunes personnelles plutôt que de développer des industries de substitution à l’importation. En conséquence, le Sénégal, un pays cosmopolite, passe à côté de la meilleure opportunité de croissance que l’Afrique ait connu depuis la décolonisation.

L’Afrique est effectivement à un tournant de son histoire. Depuis 2000, les pays sub-sahariens sont parvenus à une croissance économique moyenne de 5 à 7%. En 2008, la production globale africaine a atteint 1,6 billion de dollars et la dépense privée se monte à 860 milliards de dollars. Durant la récession globale de 2009, l’Afrique et l’Asie étaient les deux seules régions dont le PIB a augmenté. Selon les prévisions du Fond Monétaire International, le  PIB de l’Afrique sub-saharienne devrait être de 5,5% en 2011 et de 6% en 2012.

En outre, l’Afrique affiche désormais plus d’une centaine de sociétés propres dont les revenus annuels dépassent un milliard de dollars. Le secteur bancaire et la vente au détail sont florissants. La construction explose tout comme l’investissement étranger. Les sociétés de télécommunications ont enregistrés 316 millions de nouveaux abonnés depuis 2000, plus que la population totale des Etats-Unis.

L’inertie de Wade est particulièrement dangereuse car l’instabilité qui règne en Afrique de l’ouest – guerres civiles et étrangères, coups d’état, corruption prédatrice et trafics en tous genres – offre une chance au Sénégal de se positionner en tant que puissance régionale. Par exemple : avec les investissement nécessaires, un port à Bargny pourrait non seulement servir de base d’exportation pour les Africains de l’ouest mais aussi de centre de transformation pour les ressources minières et de centre de liquéfaction du gaz naturel. De tels investissements entraineraient un glissement significatif des secteurs à faible productivité vers ceux à forte productivité, contribuant ainsi à relancer l’emploi et les salaires.

Le Ghana, une démocratie plus récente que le Sénégal, est un exemple éblouissant. A son indépendance, les ressources humaines et les infrastructures du Sénégal étaient les meilleures de l’Afrique de l’ouest. Mais cinquante ans de mauvaise gestion plus tard  – dans un premier temps quarante ans durant par le Parti Socialiste, puis par le libéralisme de Wade pour les dix dernières années – ont érodé cet héritage. Du fait d’infrastructures supérieures à celle du Sénégal, le Ghana a attiré des milliards de dollars en investissements étrangers, et ses volumes commerciaux sont largement supérieurs à ceux du Sénégal.

Moyennant un gouvernance appropriée, le Sénégal, avec son demi siècle de stabilité politique et démocratique et compte tenu de sa position stratégique par rapport à la Mauritanie, au Mali, à la Guinée et à la Guinée-Bissau, à l’extrême ouest du continent, est idéalement positionné pour servir de centre de développement des ressources naturelles pour ces pays – ainsi que pour le Burkina Faso, la Gambie, et le Niger. Le potentiel des bénéfices économiques d’une telle stratégie est considérable pour le Sénégal : de nouvelles industries de transformation minière, de transport et d’acheminement, permettant des emplois à valeur ajoutée supérieure ; des revenus budgétaires provenant des taxes de transit sur les exportations de minerais et les pipelines ; et de meilleures infrastructures permettant de relier le cœur rural du pays à Dakar et à la côte.

Il reste encore l’espoir que les manifestations populaires du mois de juin ramèneront Wade à ses sens, et permettront aux Sénégalais de continuer de choisir leur gouvernement dans la transparence. Formulons l’espoir que le prochain gouvernement réalisera l’énorme potentiel du Sénégal en tant que centre économique de l’Afrique de l’ouest.

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