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Mettre fin à la rareté des données en Asie

MANILLE – La plupart des régions d’Asie sont en proie à une canicule étouffante et à la pire sécheresse depuis plusieurs décennies. Des millions de personnes manquent d’eau et de vivres, les menant parfois à une mort certaine ou leur faisant perdre leur gagne-pain, leurs récoltes et leurs élevages. Puisque les pénuries d’eau grèvent la productivité, réduisent la production d’électricité des centrales hydrauliques et rognent dans les exportations de denrées alimentaires, les économies ne peuvent qu’en pâtir.

Pour remédier à cette situation, il nous faut implorer les cieux, mais d’une tout autre façon. Il est certain que le retour des précipitations serait le bienvenu, mais il s’agit plutôt d’invoquer un instrument, permettant de parer aux conditions météorologiques extrêmes, sur lequel nous avons une certaine maîtrise à savoir, les satellites.

Il est fort probable que les conditions météorologiques extrêmes accablant l’Asie ne disparaîtront pas de sitôt. La sécheresse qui sévit en ce moment provient en partie d’un épisode El Niño anormalement prononcé qui réchauffe l’océan Pacifique depuis le milieu de 2015. Selon les prévisions, les épisodes d’El Niño seront plus fréquents et plus intenses pour le siècle à venir, suivant les répercussions des changements climatiques. Les problèmes déjà graves de l’Asie en matière d’approvisionnement en eau ne feront que s’empirer, ce qui devient un phénomène particulièrement inquiétant dans les villes, vu le rythme accéléré d’urbanisation. La population urbaine de la région est appelée à doubler, à un niveau de 3,2 milliards d’habitants, d’ici 2050, où presque les trois quarts de sa population totale pourraient devoir vivre en condition permanente de stress hydrique.

Juguler ces tendances lourdes peut paraître impossible. Par contre, la prévention d’autres pénuries d’eau ne l’est pas. Il est maintenant primordial de prendre des mesures audacieuses pour saisir la nature et l’amplitude de la crise de l’eau en Asie, afin de renforcer notre capacité d’y remédier.

Ainsi, des données insuffisantes sur le débit des cours d’eau, notamment le volume d’eau soutiré pour l’agriculture et la consommation humaine, empêchent la gestion efficace des ressources. De même, l’absence de relevés pluviométriques précis, particulièrement en région éloignée, nuit aux initiatives d’évaluation des risques d’inondation et de sécheresse. Il faut également disposer de données précises pour concevoir des barrages et des remblais pour des réseaux d’irrigation adéquats — sans compter qu’il faudra les construire là où les réductions des changements climatiques seront optimales.

L’élaboration de mesures judicieuses est gênée par les données inexistantes de multiples façons. Même si l’agriculture puise environ 80 % des réserves d’eau douce de l’Asie, la plupart des pays ne parviennent pas à mesurer le volume exact d’eau utilisé dans les cultures ni les reliquats d’eau recyclés en aval. Une plus grande précision sur les débits entrants et sortants des bassins versants, et à quelles fins, permettrait d’instaurer des mesures plus avisées, comme d’habiles investisseurs qui fondent leurs décisions sur des données financières fiables. Comme l’ont déjà démontré les cas de certains pays où l’eau se fait rare, tels que l’Australie, ce type de bilan hydrique permet aux pays de répartir plus efficacement les ressources hydriques entre les agriculteurs, les producteurs d’électricité et les usagers urbains.

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Et c’est ici qu’interviennent les technologies liées aux satellites. Des passages réguliers au-dessus des zones de culture à l’aide de systèmes de télédétection — de la même façon qu’un examen complet de santé — peuvent rapidement recueillir des données de pluviométrie, de température des sols et même des nappes souterraines qui prendraient autrement des mois à obtenir. Lorsque conjuguées aux mesures physiques au sol, ces données permettent aux autorités publiques de dresser des bilans hydriques plus précis, de faire des préparatifs en cas de sécheresse et d’inondation et de planifier l’utilisation future de l’eau.

Déjà, le système logiciel de Water Accounting Plus — mis au point par l’institut de gestion des ressources hydriques UNESCO-IHE et par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture — se sert des données de télédétection libres de droits pour analyser l’usage des sols, la pluviométrie et la température. Les données permettent au système de calculer les volumes d’eau produits par les bassins versants, les différentes utilisations et l’évolution de la composition de la demande.

Munis de ces renseignements, des pays comme le Cambodge et le Vietnam sont en mesure de répondre à l’essor de la demande en ressources hydriques. Pour les aider à se lancer sur cette trajectoire, l’UNESCO-IHE, avec l’appui de la Banque asiatique de développement, a collaboré avec les instances de ces pays — ainsi qu’avec les autorités publiques de l’Inde, de l’Indonésie, du Pakistan, du Sri Lanka et de l’Ouzbékistan — pour créer un programme pilote visant à répondre aux grandes questions en matière d’utilisation du territoire et des ressources hydriques.

Il faudra lancer plus d’initiatives de ce genre, et ce, en mode accéléré. Et un des champs d’intervention doit porter en priorité sur l’agriculture. Ainsi, sur les hauts plateaux arides du centre et dans les provinces côtières du Vietnam, le besoin est urgent d’obtenir des rendements plus élevés par litre d’eau et d’intervenir plus efficacement en cas d’urgence. Grâce à une exploitation exhaustive des technologies liées aux satellites, les cultivateurs pourraient recevoir sur leur téléphone portable des données en temps réel sur les volumes d’eau à utiliser et le moment propice pour irriguer leurs cultures. Cela permettrait également de recenser les exploitants agricoles présentant les meilleurs rendements et de les inciter à mettre en commun leurs pratiques exemplaires avec les autres exploitants.

Une autre étape importante consistera à cartographier les réserves et les ponctions hydrologiques pour chaque pays et à rendre ces données accessibles en ligne. Plutôt que de laisser en jachère des données essentielles, comme cela s’est déjà produit dans le passé, nous devons en produire plus, les mettre à jour et de les diffuser au plus grand nombre possible, pour qu’elles soient utilisées à bon escient.

À elle seule, la fin de la rareté des données ne mettra pas un terme à la crise de l’eau en Asie. Mais c’est un premier pas incontournable pour faire en sorte que le destin de la région ne soit pas dicté par son climat.

Traduit de l’anglais par Pierre Castegnier

https://prosyn.org/NuYD45Jfr