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De l’assassinat de la justice en Russie

PRAGUE – La mort d’Eduard Chuvashov, un juge tué de sang froid le 12 avril à Moscou, se rajoute à la longue liste de meurtres perpétrés sur ceux qui en Russie tentent de faire appel à la justice pour les victimes de crimes – une tâche essentielle pour l’avenir de la société russe.

Chuvashov était l’un des rares juges au sein du système judiciaire russe qui avait le courage de prononcer des jugements contre de puissants responsables gouvernementaux locaux ainsi que contre de hauts responsables du ministère de l’intérieur. Il a en effet osé envoyer un certain nombre d’entre eux derrière les barreaux. Récemment, Chuvashov a défié les menaces personnelles dont il a fait l’objet et condamné à la prison les membres d’un groupe néo-nazi moscovite particulièrement dur.

La presse occidentale a jusqu’à présent souvent présenté la présidence de Dmitri Medvedev comme une période de libéralisation, une période au cours de laquelle le gouvernement russe  relâche légèrement sa pression autoritaire sur la société. Certains suggèrent même que Medvedev entamerait une nouvelle ère de perestroïka.

Mais peu de choses ont été faites pour répondre de manière efficace à la série d’assassinats contre les « faiseurs de troubles » russes qui débuta il y a quelques années avec les meurtres de l’expert des droits de l’homme Nikolai Girenko et de la journaliste Anna Politkovskaya. En fait, en 2009, deuxième année du mandat de Medvedev, cette vague d’assassinats a été encore plus dévastatrice.

Stanislav Markelov, Natalya Estemirova, Maksharip Aushev, et Ivan Khutorskoi étaient tous en vie au début de 2009, déterminés à améliorer la situation des droits de l’homme en Russie et à révéler la vérité sur les abus. L’avocat Markelov prenait régulièrement des cas concernant les droits de l’homme que personne n’acceptait de défendre. Ces dossiers étaient souvent liés à la guerre et la violence permanente en Tchétchénie ou à la terreur néo-nazi croissante dans les rues de Moscou, Saint Petersburg, et d’autres villes russes.  

Estemirova était une activiste clé en Tchétchénie pour le groupe Memorial et était déterminée à informer les Russes sur la vérité de leur histoire moderne. Elle enquêté sur des adductions et des meurtres extrajudiciaires. Elle était une source d’informations véritablement cruciale sur la situation en Tchétchénie.  

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Aushev, activiste majeur de l’opposition Ingouche et journaliste, animait un site internet de news influant depuis que Magomed Yevloev avait été tué d’une balle alors qu’il était en garde à vue en 2008. Et Khutoskoi, activiste antifasciste basé à Moscou, organisait la sécurité des concerts antifascistes, ainsi que celle des conférences de presse de Markelov.

Des mains assassines ont mis fin à tout leur travail.

Nous en appelons au gouvernement russe pour que soit rompue une fois pour toute cette chaine de tragédies humaines. En permettant le meurtre de personnes dont le seul propos est la préservation de la dignité humaine, la Russie voit disparaître l’espoir d’un avenir meilleur. Les autorités russes échouent tout au moins dans ce qui devrait être la principale fonction de tout gouvernement : protéger la vie et la sécurité physique de tous ses citoyens. Pire encore, aucun de ces meurtres n’a été correctement investigué et aucun de leurs auteurs n’a été présenté à la justice.

Une telle impunité est presque une invitation à continuer de perpétrer de telles attaques. Le fait que les forces de sécurité russes soient soupçonnées d’avoir participé à certaines de ces activités démontre la gravité du problème. Ces accusations doivent faire l’objet d’enquêtes pour que les appels du président Medvedev pour une société fondée sur l’autorité de la loi ne restent pas lettre morte. Plus les autorités démontreront leur détermination à protéger tous les citoyens, plus ils serviront une coopération internationale constructive avec la Russie.

Nous en appelons au Président de la Fédération de Russie et exhortons le gouvernement russe à assurer la protection des personnes en danger et à faire le nécessaire pour qu’aboutissent les enquêtes sur les meurtres des activistes des droits de l’homme, des journalistes et des juristes indépendants. Les responsables politiques doivent exprimer haut et fort leur opposition face à de tels crimes. Ils doivent souligner le grand danger que pose à la fois à la société et à l’état russe une loi du sang qui met sous silence les personnes qui agissent dans l’intérêt général. Et la communauté internationale doit trouver les moyens de contribuer soutien, protection et abri aux défenseurs des droits de l’homme russes dont la vie est en danger.

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